Le monde de James Matthew Barrie


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Ce roman est inédit en France. Il fut disponible en version française, le 28 septembre 2006, aux éditions Terre de Brume (*). Il a été republié, en 2013, dans une édition revue et augmentée de textes inédits de Barrie.

 

En vente en librairie, dans les magasins en ligne

et sur le site de l'éditeur.

Le Petit Oiseau est une féerie métaphyique !

Un seul fragment de ce récit, les cinq chapitres centraux consacrés à Peter Pan, a été publié, il y a quelques années, sous le titre Peter Pan dans les Jardins de Kensington. La démarche n'est pas tout à fait illégitime, si l'on considère que Barrie lui-même les édita sous cette forme. Toutefois, cela sous-entendrait que Peter Pan est l'amande de ce roman et que le reste (21 chapitres) n'est que coquille. Rien de plus faux. Ces deux fragments sont construits en raison, sinon en regard, l'un de l'autre. L'ensemble, une coquille d'oeuf brisée en mille éclats, cache un secret, un post-scriptum que le lecteur devra déchiffrer.
Le Petit Oiseau blanc est un roman sulfureux. Mais la provocation n'est pas là où cet adjectif semble conduire. Il convient de le lire pour comprendre à quel point il faut de l'audace à un homme pour vivre, non pas dans l'imaginaire, mais dans la réalité qui se plie, soudain, au bon plaisir d'une fantaisie intime et parfois douloureuse. Lire ce roman revient à surprendre une conversation, c'est un acte d'impudeur. On le décachette ; il s'agit d'une lettre qui ne nous est pas adressée en propre mais qui parle peut-être de nous. Barrie publie dans ce roman tous ses chagrins et ses fantasmes d'homme dans un corps d'enfant, toutes ses joies et ses espérances d'enfant dans une fausse peau d'adulte. Le Petit Oiseau blanc est à la fois l'enfant que la nature lui refuse, le livre que nous lisons et celui qu'écrit le narrateur, et finalement le double d'un enfant bien réel, George Llewelyn Davies (nommé David dans le texte).
Barrie, petit (il était dans la moyenne de l'époque, contrairement à ce que j'ai longtemps cru) homme d'un mètre soixante et un, ouvre ici les portes d'un royaume vieux et neuf, qui sera mis en images par l'un des plus grands, Arthur Rackham. Les Jardins de Kensington, où trône aujourd'hui la statue de Frampton et où l'on peut tourner six fois autour du puits de Saint Govor (1)

Le puits de Saint Govor

afin d'en déchiffrer le message, sont le cadre d'un monde de féerie - mais après la terrible Heure de la Fermeture uniquement ! Peter Pan, âgé de sept jours, va s'y envoler et y demeurer éternellement, vivant en bonne harmonie avec les fées et les oiseaux des lieux. Le roman déchire une percée derrière les apparences du sens commun. Nous allons vivre quelques jours dans ces Jardins , qui sont l'ébauche grossière de Never Never Never Land (bien différent, en vérité). On y apercevra même le premier reflet du capitaine Crochet !
Ce roman est l'un des plus étranges de l'auteur et l'un des plus ambigus de la littérature anglo-saxonne. Il est très difficile de le comparer ou de le confronter à d'autres du même genre, car il est un genre à lui seul, ce qui est le propre d'une grande oeuvre. Certes, il s'inscrit dans le prolongement des grands romans victoriens ou post-victoriens, tels ceux de Lewis Carroll, Kenneth Grahame ou A. A. Milne. Pourtant, il est difficile de l'affilier tout à fait à ses derniers tant il est singulier. Attention ! Il serait fautif de croire qu'il s'agit d'un livre "pour les enfants". Si par "enfant" on entend un petit être déficient en raison et en expérience, comparé à ses aînés, à ses parents. Ce roman est celui d'un homme adulte, en proie à des tourments existentiels, sentimentaux, qui vit dans un demi-rêve éveillé et qui se console de ses impuissances. Il n'y a aucune ligne de démarcation entre la vie réelle et le roman, entre le monde de l'imagination et le quotidien. Barrie écrit en pointillé et tâche de ne pas sombrer entre les espaces qui séparent les tirets. Au lecteur d'en faire autant !
Le Petit Oiseau blanc est un coffret magnifique qui contient un joyau tout aussi resplendissant. Il s'agit, en vérité, de deux romans enchâssés : l'histoire d'un célibataire endurci, le Capitaine W—, fracturée en son centre par un autre récit : la naissance de Peter Pan! Hé oui ! Le Peter Pan de la pièce et du roman, tous deux appréciés du public, n'est pas le véritable Peter Pan. Ou, tout au moins, pas le seul.
Qui le sait encore de nos jours ?
Le narrateur "anonymement révélé", le Capitaine W—, emmène un petit garçon nommé David pour un voyage imaginaire dans le passé. Ce petit garçon n'est pas le sien, mais l'un et l'autre font souvent comme si c'était le cas. Mary A— est la mère de cet enfant. Elle n'a jamais rencontré réellement le Capitaine W— Pourtant, ce dernier est clandestinement l'artisan de son bonheur. Le narrateur aime cette femme à distance, platoniquement mais avec une effronterie certaine, et endosse le rôle d'ange gardien. Finiront-ils par se rencontrer ? Se parleront-ils ? Le roman s'avance ainsi vers nous, empruntant des chemins de traverse, et ce, dès la première ligne. Comment ne pas atteindre, à grands pas, le vingt-sixième chapitre, constitué d'une dédicace, pour avoir le fin mot d'une histoire, qui est aussi la confession d'une âme triste et pure, celle de l'auteur ?
Ce roman est multiple. Un ensemble de saynètes et d'incises qui ont pour but de faire perdre le fil au lecteur - afin de mieux le retrouver. Certains événements, décrits dans le texte, ont-ils réellement eu lieu dans l'histoire ? Quelle est, au sein de l'histoire elle-même, la part de réalité et la part d'imaginaire ? L'ironie barrienne prend ici, comme souvent, la forme d'une antipathie de surface de la part du narrateur envers les autres. Cette forme feinte de misanthropie dissimule un sentimentalisme qui n'a rien de douceâtre. La guimauve est amère. Rien à voir avec cette vision biaisée et fausse donnée par le mauvais film de Marc Forster, avec dans le rôle principal un Johnny Depp qui n'a rien du véritable Barrie, et qui est récemment sorti sur nos écrans sous le titre trompeur de Finding Neverland.
Pour trouver le pays de l'imaginaire, il suffit de lire Le Petit Oiseau blanc, qui est à la fois la matrice de Peter Pan et des oeuvres suivantes, mais également le récit, parfois à peine transposé, de la vie de Sir James Matthew Barrie et de ses relations avec les enfants Llewelyn Davies. Lequel des deux romans préférez-vous ? L'histoire du petit Peter Pan, qui traverse la Serpentine à bord d'un Nid de Grives, ou bien le chagrin d'amour du Capitaine W— ? Mais peut-être que la véritable question est de savoir ce que cache l'histoire de Peter Pan installée au beau milieu de la première histoire.

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Lorsque j'ai traduit ce livre, j'ai pensé très fort à mon grand ami, David B., qui est l'une des rares personnes en ce monde à qui je dois quelque chose de véritablement important. Lorsque je l'ai rencontré, j'étais une affreuse apprentie philosophe, qui n'aimait rien tant que la rationalité. Il m'a ouvert le chemin du merveilleux. Sans lui, je n'aurais peut-être pas rencontré Barrie. Ce fut alors à mon tour de lui présenter quelqu'un d'exceptionnel.

Aujourd'hui, avec son autorisation, je recopie ici deux fragments qu'il m'a écrits, découpés dans plusieurs lettres au sujet du Petit Oiseau blanc, parce que ce qu'il en dit me touche et parce qu'aucun critique littéraire ne saurait dire mieux que lui la quintessence de ce roman atypique.

"La lecture du Petit Oiseau blanc est une expérience étrange pour moi. Le fait de savoir que vous l'avez traduit et que vous l'adorez me gêne un peu pour me l'approprier pleinement, pour être objectif. Malgré cela, je crois pouvoir vous dire que ce livre est une merveille de finesse et de poésie. C'est un livre qui ne pouvait se dérouler qu'à cette époque et en ce lieu et n'être écrit que par un vrai gentleman. Vous évoquiez la cruauté de Barrie. Comme vous aviez raison ! Comme elle est nécessaire à faire ressortir la subtilité et la délicatesse des émotions. Je me suis accoutumé à cette poésie et ne ressens plus le décalage qui m'avait fait trouver ce livre exotique (bien que le chapitre de la naissance de David soit perturbant et que l'auteur aime à se montrer sibyllin dans ses intentions). La description de l'amour perdu de Monsieur Anon est l'une des plus belles pages d'amour que j'aie eu l'occasion de lire. Barrie déploie une imagerie d'une richesse qui semble infinie et d'un raffinement qui ne fait que rendre la perte de l'amour plus poignante. Car ce bouquin ne parle que de ça : d'amour et de regret. L'amour envers les enfants, ceux qu'on désire ou ce que l'on a, la passion envers l'être que l'on convoite, que l'on aime et que l'on perd.

(...)

Mais vous n'êtes pas innocente à ce mal qui m'étreint merveilleusement. Votre Petit Oiseau blanc fait des ravages dans mon imagination. Il s'y est installé durablement et recouvre tout de ses plumes blanches. Le retour de Peter Pan auprès de sa mère était bouleversant. J'ai enfin pleinement compris la beauté tragique du personnage. Je me suis désormais pleinement approprié ce livre. J'aime à m'y plonger, à m'y oublier. On en ressort non pas triste de retrouver la réalité mais recouvert de cette poussière de fée qui nous fait voir le monde plus beau que d'habitude. Merci pour cela. Ce livre m'oblige à regarder ce que j'aime d'un oeil nouveau. (...) Je comprends désormais pourquoi vous avez pensé à moi en traduisant ce livre. Il a totalement sa place dans mon univers. Barrie partage mon intimité, car c'est de cela qu'il s'agit. Quand il nous parle, il sait trouver l'enfant en nous, ce qu'il nous raconte touche la partie la plus personnelle de notre âme. Celle que l'on croyait partie avec tous ces petits fantômes qui voltigent autour de nous à l'automne, le souvenir de nos ailes qui n'ornent plus nos épaules parce qu'on a douté d'elles. C'est triste de grandir, de tuer tous ces merveilleux rêves. Alors, oui, que vivent les morts !"

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(1) Le puits n'était pas le même à l'époque de Barrie.
Le révérend W.J. Loftie (1839 – 1911) écrit ce qui suit dans son Kensington pittoresque et historique, page 24 (de la première édition, en 1888) :
« Il y a eu dernièrement des controverses au sujet des puits dans les Jardins de Kensington. L’un d’entre eux se trouve sur le petit chemin qui descend du Bassin Rond vers le Bois Noir du Bassin ; il est asséché quand le Bassin est récuré. Il est nommé Puits de Saint Govor. Son eau ne mérite pas la réputation de pureté qu’elle a acquise, car elle est souvent souillée par des matières organiques. Saint Govor est le saint patron de l’église de Llanover. Sir Benjamin Hall fut le premier membre de la commission de travaux publics, lorsque, en 1856, le nom fut apposé sur le puits ; il était le propriétaire de la paroisse, qui est située dans le Monmouthshire.»

Si l’on se réfère au Menologium [calendrier des saints] de l’Angleterre et du Pays de Galles de Stanton, on peut trouver page 704 ceci : « Gower, Patron de Llangower, Merioneth ». Il s’agit d’un catalogue des saints gallois auxquels les Eglises sont dédiées ou dont les noms apparaissent dans l’Ancien Calendrier. Si Govor et Gower sont des variantes du même nom, il est très difficile de l’affirmer. En tout cas, le nom gravé sur la pierre du puits est Govor et non Gover.

On peut trouver deux esquisses du puits dans le livre de Loftie, dont l’une réalisée par Miss Thackeray.

Le message actuel gravé sur ce puits est le suivant :

"This drinking fountain marks the site of an ancient spring, which in 1856 was named St Govor's Well by the First Commissioner of Works later to become Lord Llanover. Saint Govor, a sixth century hermit, was the patron saint of a church in Llanover which had eight wells in its churchyard."

(Merci à Robert Greenham, qui m'a offert cette information !)

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Paroles de lecteurs :

- Wictoria ;
- Lily.


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Interview du traducteur ici ou.

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Article paru dans le numéro 29 de La Revue littéraire : ici.

 

(*) [Certaines coquilles se sont logées dans le texte, elles seront corrigées lors d'un éventuel retirage ; elles sont le fait de la négligence d'un employé de l'éditeur ; je n'en suis aucunement responsable, ayant apporté le plus grand soin à la correction de mes épreuves... Malheureusement, certaines de mes corrections n'ont pas été reportées sur le texte envoyé à l'imprimeur ! Je suis la première victime de cette disgrâce typographique.]