Voyage
à Londres et à Black Lake sur les pas de James Matthew
Barrie : avril 2008 - Part Three
Rétrojournal. Séjour en Angleterre du 24 au 29 avril
2008.
[Clichés de M. Golightly - cliquez sur les photographies pour
les agrandir.]
Saviez-vous que l'on pouvait mourir d'excès
de bonheur tout autant que d'excès d'oxygène ?
Je suis de retour (le 29, au soir). Il y a
très peu de temps j'ai franchi le seuil de mon home et j'écris
à la hâte ces quelques lignes pour quelques-uns d'entre vous.
Il va me falloir quelques semaines pour me remettre de mes aventures
! Et pourtant j'ai un travail fou qui m'attend à la maison. Mais
il m'arrive toujours des choses extraordinaires lorsque je voyage.
Le temps ne compte plus alors.
J'ai rencontré des êtres formidables qui m'ont
ouvert leur maison, leurs archives, un peu de leur vie, pour les
livres en préparation sur J.M. Barrie. (Rien de tout ceci n'aurait
été possible sans toi, Robert.
Tu sais à quel point je suis capable d'être heureuse comme un
enfant et je l'ai été, je le suis. Rien non plus n'aurait été
possible, avant tout, sans "M. Golightly", mais nul
besoin de parler de lui, parce que lui et moi, c'est la même chose.
Il pourrait écrire ces lignes tout autant que moi.)
Si vous ne croyez pas aux fées, j'espère au
moins que vous croyez aux contes de fées.
J'ai bien fait de frapper dans mes mains au
moment opportun, comme tous les enfants, pourtant "sans coeur",
qui assistaient jadis aux représentations de Peter Pan,
afin que Tinker Bell ne meure pas... Mais, là, il s'agit d'une
autre histoire que je commencerai à vous compter tout doucement...
Le récit d'un voyage en Angleterre, qui commence à Londres, qui
s'aventure jusque dans les Moors des Brontë, qui repasse par Londres,
pour redescendre prendre le pouls de vieilles ruines, pour visiter
une grande dame des lettres anglaises et, apothéose, le
Graal
de tout barrien : Black Lake.
Il s'agit d'un endroit secret dont je ne pourrai
pas vous parler directement, car j'ai fait une promesse solennelle,
mais je pourrai vous dire mes sentiments car, eux, ils m'appartiennent.
Je suis, sur cette photographie [Cliquez pour
agrandir, merci à Robert pour le cliché !], dans LA forêt de pins,
la pinewood qui fait rêver tous les lecteurs véritables de Barrie,
qu'ils soient ou non fétichistes (je le suis). La sève de Peter
Pan coule ici.
Mon
ami anglais Robert (auteur d'un
très beau livre en relation avec Barrie, puisque sa grand-mère
connaissait bien J.M. B. - je le rappelle pour mes nouveaux lecteurs
et je le souligne également parce que c'est grâce à ce livre que
notre amitié est née et parce que nous sommes allés, hier, sur
les lieux décrits dans ce récit qu'il faut lire si l'on aime Barrie)
avait préparé une journée extraordinaire pour moi, en ce 28 avril.
Il m'a offert des souvenirs qui dureront ma vie entière. Jamais
je ne les laisserai faner, parce qu'ils ont pris racine en moi
à l'endroit exact où naissent sans discontinuer les histoires,
à l'intersection de l'imagination et de la mémoire.
Que l'aventure commence !
***
Avertissement(s) :
Première page du voyage. Holly
se présentera souvent à vous sans fards - c'est le cas de dire,
je ne me maquille jamais -, décoiffée, mal fagotée et souvent
crottée, pas trop comme il faut (elle gueule plus qu'elle ne
parle). Elle est tout à fait ridicule la plupart du temps, mais
elle s'en moque complètement, parce que c'est l'Aventure, n'oubliez
pas. Hélas, les "héros" de la vie réelle et moderne n'ont pas
le maintien parfois aristocratique des chasseurs d'épaves ou
de trésors que l'on rencontre dans les livres. Mais... Mais...
Vous verrez bien si vous me suivez jusqu'au bout. Tout a été
filmé en direct, rien n'a été préparé, alors parfois je trébuche
sur les mots et les idées qui affleurent. Je voulais partager
avec mes proches amis mes émotions immédiates. Alors, parfois,
mon français et mon anglais laissent à désirer. La qualité des
vidéos est obligatoirement dégradée parce qu'elles seraient
impossibles à télécharger sur un serveur autrement et je n'ai
pas le temps de les retravailler pour le web. De plus, c'est
de la vidéo très amateur, de même les photographies, alors...
fermez les yeux.
***
Jeudi 24 avril
Nous avons pris notre Eurostar à la gare
du Nord,
voyageant en bonne compagnie d'un couple d'anglais
traditionnels, à qui je demande précision quant à la prononciation
que je sais « irrégulière » de « Keighley
». Mais je préfère vérifier ce que j'ai lu dans les livres...
Le « gh » se prononce comme un « th ». La femme me donne d'abord
une mauvaise réponse, puis s'avise auprès de son mari, qui rectifie.
Elle m'explique qu'entre les diverses régions d'Angleterre les
prononciations divergent et que même les anglais entre eux ont
parfois du mal à se comprendre.
Digression :
Voici ce que j'appelle un anglais traditionnel,
mais il n'en existe pas beaucoup, je crois, seulement dans notre
imagination. Admirez le parallélisme des valises, le port et
le parapluie.
Reprenons.
La femme a la peau ridée, dans le décolleté
qu'elle laisse entrevoir, le ventre rebondi des caprices de
la vieillesse et l'homme, qui semble plus jeune mais ne l'est
pas, a le nez couperosé. Il boit peut-être. Ils ne s'adresseront
pas plus de trois fois une parole rapide et efficiente pendant
la durée du voyage. Cela signifie soit qu'ils n'ont plus rien
à se dire soit qu'ils communiquent par télépathie. Ils n'ont
pas l'air hostiles l'un envers l'autre ni même indifférents.
Non loin de nous, en face à face, un couple de français, d'origine
malgache peut-être. Elle, plutôt belle. Mais d'un milieu social
que je juge assez bas, eu égard à la tenue vestimentaire et
au relâché désagréable du langage et des manières. Je ne suis
pas Jane Austen, mais j'ai l'oeil acéré. Y compris en ce concerne
mes propres négligences. La femme sort, sans gêne, un sein après
l'autre, sous le prétexte de nourrir un enfant qui a bien six
mois et qui ne tète pas. La scène choque quelques puritains
de mon genre. Il me paraît de mon devoir d'aller informer la
femme qu'il est des politesses élémentaires, mais M. Golightly
grince des dents - car, lui, est un gentleman et il sait que
mon attitude serait encore plus vulgaire que la sienne. Je ronge
mon frein. Nous arrivons dans la nouvelle gare de St. Pancras,
propre, éblouissante, neuve. L'anglaise qui
nous a aimablement informés en matière de linguistique reviendra
sur ses pas pour nous souhaiter un beau voyage. Elle a semblé
intéressée et ravie lorsque je lui ai expliqué le but de mes
divers déplacements. Demain, il faudra changer à Leeds et au
retour, le dimanche, à Leeds et à York.
Nous éprouvons quelques difficultés à comprendre
le système ferroviaire anglais, alors que nous nous mettons
en quête des billets de train pour le lendemain, à Haworth.
Mais, en vérité, ce sytème me semble meilleur que le nôtre.
Notre hôtel se situe, pour cette première nuit, en face des
Jardins de Kensington. La brochure de l'hôtel dit – mais ce
n'est pas la vérité vraie – que « It is widely believed that
James M Barrie wrote his famous story of Peter Pan sitting on
a bench where the hotel now stands. » « Widely believed »? I
don't think so ! Where didn't Barrie write Peter Pan?
Tell me! Nous retournons aux Jardins
Faut-il revenir sur le lieu de ses jours
très heureux ? Ou abîme-t-on ce qui était beau ? Non, j'ai
trop confiance en notre sens du bonheur, en notre exigence
quant à l'instant présent pour redouter cela.
Je m'en vais chatouiller les orteils de Peter
Pan et faire le pitre,
puisque l'Orangery
is closed - une fête privée s'y prépare. Nous repartons, le
coeur léger et lourd à la fois, sans savoir que nous sommes
passés près des pierres sans les voir... Maintenant, je sais
que le rire entendu derrière notre dos était le leur. Je remarque,
le soir, sur Oxford Circus, à quel point les jeunes anglaises
chics peuvent être délurées. La londonienne argentée porte
un sac à main Dior, une robe noire classe, et des escarpins
à talons aiguille. Elle m'impressionne grandement, moi, qui
suis complètement avachie dans mes petites ballerines d'enfant
et qui ai l'allure d'un vieux pot à tabac. Petit arrêt au
Starbucks café couplé avec un magasin de livres – je ne dis
pas librairie, je suis trop respectueuse – Border's. Les serveurs
parlent à peine l'anglais, moins bien que moi (c'est dire!
Mais je le comprends très bien, en revanche...) et toutes
les professions de ce genre sont exercées par des immigrés.
Il me demande mon prénom pour inscrire sur le gobelet en carton
en attente, je réponds, d'humeur malicieuse : « Jane Austen
». Il me regarde ahuri et je renonce.
Nous essayons de retrouver un lieu barrien qui fait défaut
à ma cartographie. Là encore, ce sera un échec.
La première journée à Londres s'achève.
*******
Le journal de notre voyage à Haworth, qui ne concerne pas
Barrie se trouve
ici [Cf. les entrées de mon journal concernant la période
qui s'écoule entre le 23 avril 2008 et le 15 mai 2008.].
******
Dimanche 27 avril
C'est mon Jour.
Mon ami Jean-Christophe le dit joliment dans une délicieuse carte-lettre dont lui seul a le secret : "(...) je vous souhaite donc 26 + 1 (qui ne font pas pour autant 27, mais vous font entamer un deuxième cycle de 26 années) printemps colorés." Voici qui est charmant et vrai. Jamais je n'aurai plus de vingt-six ans.
Nous quittons Haworth à regret et nous rentrons
à Londres par divers trains. J'imagine pendant le chemin le délicieux
gâteau au chocolat que je mangerai chez Valérie
et je caresse avec dévotion un des cadeaux de M. Golightly - qu'il
a réussi à dissimuler à ma barbe dans les valises (pourtant, j'ai
fouillé) :
Le soir, je m'endormirai en rêvant de M. Barrie, tout en sachant que le lendemain sera encore un jour merveilleux, passé en sa compagnie...
Je rédige ces lignes en écoutant le très bel
album de Rickie
Lee Jones,
offert, entre autres merveilles (cessez de
me "pourrir" ainsi ! Mais si je dis cela sérieusement, je le
dis également avec un sourire à dévorer le soleil...), par mon
ami Jean-Christophe.
Oh, yes, I
won't grow up... Vous me connaissez si bien - j'adore
Here's
to Lifesur cet album-ci, qui est une très belle découverte
également, de A à Z.
*************
Lundi 28 avril
Mon grand ami anglais Robert avait préparé en amont une journée de rêve pour moi, en guise de cadeau d'anniversaire, et ce fut probablement la journée la plus riche en émotions, même si ce voyage fut un rêve éveillé du début à la fin.
La journée était consacrée à James Matthew Barrie, afin de compléter la cartographie que j'ai commencé à dessiner, à Londres et en Ecosse l'année dernière (et je vais donc pouvoir remplir la partie laissée vierge, depuis l'année dernière, sur mon site, pour ce voyage à Black Lake !). Il ne me restera plus, après ce voyage, que deux lieux à Londres à visiter, un séjour aux Hébrides extérieures pour voir l'île de Mary Rose (l'année prochaine) et quelques endroits en France... Mais le voyage ne sera jamais terminé. La preuve, lundi, Robert et moi, nous avons découvert des choses inédites sur mon bien-aimé auteur (que je conserve par devers moi pour un de mes livres - sachant qu'elles ne seront pas présentes dans le prochain que je compte présenter à la fin de l'année si... si... mais je sais que... tout ira pour le mieux !), présentes dans aucune biographie - et surtout pas la moins que passable biographie de Rivière - ce qui aiguise mon appétit.
Le programme de la journée s'est présenté ainsi - je recopie ce que Robert m'a écrit, sans le traduire parce que cela me plaît que ce soit ainsi...
A
Wonderful Adventure - Monday 28 April 2008 :
09.55 - Meet at Farnham
StationNous étions tous à l'heure. J'ai aperçu,
la première, Robert et j'avais grand mal à retenir mes guiboles
qui avaient envie de courir dans tous les sens, éperdue de joie
que j'étais. Je n'ai pas souvent la chance de voir Robert, alors
c'est en soi une grande fête que cette occasion très spéciale.
10.20 - Medstead
StationJ. M. Barrie n'avait pas d'autre choix
que d'emprunter le train qui s'arrête à cet endroit, afin de
rendre visite à sa soeur et à son beau-frère, Mr et Mrs Winter.
Lectrice non hystérique de Jane
Austen, mais très admirative de son oeuvre et
de sa personne, je ne pouvais pas ne pas m'arrêter à sa maison,
transformée en musée. Bientôt, les vidéos de la visite en ligne.
13.15 - Lunch at The Bishop's Table Hotel & Restaurant,
27 West St, Farnham Excellent déjeuner. Robert sait que
la cuisine a beaucoup d'importance pour moi et il avait choisi
un endroit parfait. 14.45 - Waverley
Abbey J'ai aimé Walter Scott
avant de connaître Barrie, qui l'admirait beaucoup. Cf., par exemple,
ce qu'il en dit dans Margaret Ogilvy. N'oubliez pas que,
à l'instar de Jamie, je suis d'humeur jacobite ! Je ne voudrais
pas, cependant, vous induire en erreur et vous laisser croire
que, comme le prétend la pancarte à l'entrée du site, ce lieu
a un réel rapport avec le roman et la série de romans étiquetée
"Waverley novels". Il n'est pas exclu, en tout cas, que Scott
ait choisi ce nom par association d'idées avec cet endroit. Ces
ruines ont une grande puissance évocatrice pour moi. (lire ceci)
15.30 - Pine woods by Black Lake Cottage Une merveille que
cet endroit. Marcher dans les pas de Barrie... Vous n'imaginez
pas l'atmosphère proprement magique de ce bois (celui de Lob
dans Dear
Brutus) et, à travers les pins, on aperçoit le cottage
de Barrie, là où il a été heureux, puis profondément malheureux,
là où un jour il n'est jamais revenu... Anthony
Hopkins était présent au même moment que nous.
Un film y était tourné... Etrange coïncidence : avant mon départ,
mon amie Wictoria
me faisait remarquer qu'il y avait une ressemblance entre Barrie
et lui... 16.00 - Black Lake Le centre de gravité
de ce voyage. Je n'en dirai rien ici, car je suis liée par serment.
J'ai eu beaucoup de mal à contenir mes larmes et mon émotion.
Tout barrien rêve de cet endroit, sinon il n'est pas un barrien.
Merci à ceux qui ont permis que je respire cette "île" barrienne.
16.45 - Cream tea at The Bishop's Table Hotel &
Restaurant
Il faut savoir que, si vous me donnez des scones (des véritables),
vous pouvez presque tout obtenir de moi... Le scone, je le rappelle,
se fend en deux. Vous disposez d'abord une couche de beurre,
une autre de confiture et ensuite une grosse cuillère de crème
épaisse par-dessus. C'est l'ordre précis dans lequel se succèdent
ces ingrédients, d'après Robert, qui me paraît expert en la
matière.
17.40 - Lobswood
House et18.40 - Barrie House L'ancien
et fameux Black Lake Cottage
de Barrie, bien après son divorce d'avec Mary Ansell, qui l'habitera
encore longtemps, sera transformé en hôtel, puis coupé en deux
maisons, celles que nous avons visitées, plan en mains et les
livres de Mary Ansell en guise de guide. Le petit miracle, c'est
que certaines parties du cottage n'ont pas du tout été changées
ou détruites depuis l'époque de Barrie et que nous avons pu
retrouver des fragments du passé du génie écossais... Les photographies
d'époque nous indiquent certaines découpes dans le présent...
Mais c'est une autre histoire que je ne raconterai pas ici.
Imaginez simplement mon émotion extrême et la reconnaissance
que j'éprouve à l'égard des propriétaires de ces maisons qui
nous ont laissés visiter leur demeure du grenier à la cave.
Ce qui m'a le plus fait plaisir, c'est que les divers particuliers
rencontrés (quatre) présentent tous un intérêt pour Barrie et
possèdent des livres de lui, dans d'anciennes éditions. L'une
de ces personnes a même une bibliothèque assez conséquente construite
au fil des ans.
19.28 - Part at Farnham Station Le seul moment
un peu triste de la journée et du séjour tout entier. La séparation
et le départ. Nous rentrons à notre hôtel. J'interpelle un chef
de gare et je lui demande, en anglais, si c'est bien le train
pour London, tout simplement parce que j'ai toujours rêvé de
le faire... Et nous rentrons sans encombre à notre bel hôtel
de Baker
Street.
**************************
Développements :
A MYSTERIOUS
PINEWOOD :
L'homme,
soudain, s'est excusé, puis il s'est baissé et sa main a frôlé
et caressé la couverture verte du lac ; il a ramassé deux
pommes de pin qu'il m'a tendues sans prononcer une parole.
Deux petits fragments d'un lieu qui n'existe
que pour ceux qui y croient vraiment. Elles ont rejoint mon
musée Barrie et, bientôt, l'une d'entre elles quittera
cette demeure... pour une autre qu'elle suppose tout aussi
accueillante pour les esprits du temps passé.
« In Surrey, about a couple of miles to the south-east of Farnham, on the road which runs towards Tolford, an then on, over Frensham Common, to Hindhead. There it still stands, and still in the thick, scented pine-woods that grow on that sandy soil. » (The Story of J. M. B., Denis Mackail, London, Peter Davies, 1941, p.295)
C'est ici que je suis allée, le 28 avril 2008.
« LADY CAROLINE (with but languid interest). Where do you propose to take us?
PURDIE. To find a mysterious wood. (With the word 'wood' the ladies are blown upright. Their eyes turn to LOB, who, however, has never looked more innocent). »
« LOB (with a pout for the credulous). It is all nonsense, of course; just foolish talk of the villagers. They say that on Midsummer Eve there is a strange wood in this part of the country. »
« LOB (forced to the disclosure). They say that in the wood you get what nearly everybody here is longing for--a second chance. »
(Dear Brutus, J. M. Barrie)
*******
Pour comprendre l'importance - aux yeux de J. M. Barrie, puis au regard de ceux qui se soucient encore de lui - de Black Lake et de son cottage, il faut connaître un peu la vie et l'oeuvre du génie scots, qui était autant un écrivain qu'un créateur d'îles psychiques, parfois matérialisées dans l'ordinaire réel, sans que l'on sache qui, de l'endroit ou du créateur affamé, avait fait sien l'autre. Ces deux activités étaient d'ailleurs toujours liées en lui. A chaque livre correspondait une île. Ce serait lui faire tort que de ne point comprendre sa capacité à "mesmériser" autant les lieux que les êtres et à les incorporer dans son oeuvre, après les avoir infiltrés ou "barrienisés". S'il y a un secret du génie barrien, il se situe dans cette perfection à faire sien, qualité inestimable de notre auteur.
Cette aimantation, à des degrés moindres, est le propre de tous les écrivains, doués ou non, qui vivent toujours à la surface de leur conscience, faisant le guet pour attraper les histoires qui glissent ici et là, d'un monde à l'autre, comme les reflets, nombreux et contradictoires, qui agitent la surface de ce bien nommé "lac noir". En contemplant cette pièce d'eau, habitée quelquefois par un crocodile pas bien méchant et un cygne arrogant, on peut avoir le sentiment de fixer un visage maternel sur lequel dérive toute la gamme chromatique des émotions, de la colère à la tendresse ironique. Mais, du lac, je ne dirai mot, puisque l'endroit est secret et qu'il doit le demeurer... Mais d'île, dans les creux du lac, nous n'avons point trouvé - ni son propriétaire, ni les explorateurs passés... Mais l'île est un ensemble : le bois de pins, le lac et la maison. Black Lake est le parent du "lagon aux sirènes" de Peter Pan... Tous ces "mais" ne sont que les représentations symboliques et graphiques des failles de notre savoir.
Drôle d'aventure, n'est-ce pas ? Suis-je la même personne après avoir fait connaissance avec les lieux ? Que m'a dérobé le bois ? Il est encore trop tôt pour le dire. Pourvu que mon ombre soit toujours là. Je n'ose pas vérifier.
James Matthew Barrie parle de lui-même, dans un discours qu’il prononce devant un parterre de critiques d’art dramatique, et de sa passion pour les îles : « Quelquefois, il se peut que vous vous demandiez pourquoi j’écris tant au sujet des îles et, en effet, j’ai remarqué un certain énervement chez certains d’entre vous quant à ce sujet. Il y a plus d’îles dans mes pièces qu’aucun de vous ne peut en être conscient. Je suis rusé et je leur donne d’autres noms. Il y aune chose pour laquelle je suis très doué et cette chose s’est discrètement glissée dans une île. J’ose dire que ce sont ces îles qui font que vous vous méprenez à mon sujet. J’aurais l’impression d’avoir abandonné tout vêtement si je devais écrire sans une île. Maintenant pourrait-il y avoir une déclaration plus réaliste que celle-ci ? »A vous de voir si Barrie se moque ou non de vous. Il paraît sage, comme toujours avec lui, de prendre au pied de la lettre son propos et aussi d’en discerner la tranchante ironie. Personne ne pourrait exécuter plus élégant pied de nez que lui avec une telle lucidité sur son art et sa personne et, en même temps, avec une réelle élégance à ne point trop en dévoiler. Barrie mettra toujours les rieurs et les intelligents de son côté et c’est peut-être la raison pour laquelle les autres, qui ne comprennent pas, le boudent. On en deviendrait snob et méprisant devant tant de désintérêt de la part de ceux qui ignorent ce grand écrivain qui, très sincèrement, vous livre son secret tout en vous tenant à distance avec un humour rageur ! L’île est bien sûr le motif secret de son œuvre. A condition de comprendre ce qu’est cette île, qui est toujours la même et toujours différente, ne cessant d’apparaître pour mieux se dissoudre... A l'instar de Peter Pan, l'île n'a jamais un sens unique et permanent : sa signification se compose, pour une part, de ce que le lecteur ou spectateur lui offre.
C'est ainsi que Black Lake, le délicieux et mystérieux bois de pins et les alentours forment une île pour certains rêveurs lecteurs. Je le savais avant de m'y rendre et l'ai encore mieux compris lorsque mes pas se sont enfoncés dans cet endroit sableux, spectaculaire et discret.
Si j'avais pénétré dans une photographie ou dans un paysage peint au lieu de le faire dans ce bois, je pense que j'aurais ressenti avec la même acuité le grain si fin et pourtant râpeux de l'atmosphère. Elle ponçait les fragments de ma peau disposée à l'étreinte du lieu.
J'étais nue. Mes émotions à découvert.
Dans le plus grand des dangers et pourtant exaltée.
Un
léger brouillard mousseux recouvre en permanence la cime
des pins et vous dissimule au reste du monde. Vous savez
que vous êtes entrés dans un ailleurs au moment même où
vous vous retournez pour contempler d'un air désolé et
ravi ceux qui sont restés à l'entrée.
Ce bois est celui dont Barrie disait, en s'adressant aux
enfants Davies, qu'il était "le
bois du faire-croire où vous avez atteint l'arbre de la
connaissance". Hélas. C'est pourquoi "il
est le bois qui disparaît dès qu'on le cherche".
Il est comme l'amour, en somme.
Innocence et coeur pur de ceux qui ne voient pas les mêmes choses que les autres.
Black Lake est à Barrie ce qu'est pour certains d'entre nous certain paradis perdu - paradis parce que perdu. Mais la comparaison ferait long feu. Black Lake est un endroit mythique non seulement parce que Barrie a fait germer en cet endroit les fragments qui allaient donner naissance à Peter Pan, par le prisme de ses amitiés croisées avec Sylvia Llewelyn Davies et ses enfants, lors de ce "terrible été", mais aussi parce que le lieu lui avait volé quelque chose lors de la cristalisation de son imaginaire. Il y a toujours un sacrifice à faire pour que le mythe devienne éternel. Tous les artistes le savent et y consentent de bon gré.
Il faut contempler les photographies du seul exemplaire survivant au monde de The Boy Castaways et lire les pages qui précèdent désormais la pièce Peter Pan, "To the Five - A Dedication" (faites-moi songer à en donner une traduction sur mon site), pour prendre la mesure de cet endroit et expliquer son pouvoir de fascination.
Il faut aussi songer à la douleur de la séparation qui allait affecter le couple Barrie - lui, surtout. Après leur divorce, Jamie ne reviendra jamais sur les lieux du crime, celui de sa femme délaissée qui a croisé le regard de Gilbert Cannan, Mary A., cette actrice probablement pas très douée, qui a couvé son jardin comme un enfant - celui qu'elle n'aura jamais, lui permettant de s’agrandir démesurément, le façonnant sans cesse... Création continuée dont il ne reste pas grand-chose aujourd'hui, car la nature reprend ses droits et que rien n'est plus changeant qu'un jardin...
Entre les arbres du bois, on aperçoit le fameux cottage de James Matthew et de Mary A.
La photographie ci-dessous montre le cottage à l'époque
où Barrie et son épouse y vivaient. Le cliché est extrait
du livre de Mary Ansell (Barrie) consacré à Black Lake
Cottage. Dommage que les deux photographies n'aient pas
été prises sous le même angle. Petit regret que mon fétichisme
me pousse à émettre.
Au fond, Black Lake Cottage a toujours été son royaume.
C’est elle qui l’a acheté. Mais Blake Lake était sa possession
à lui et il a rendu ce sombre et fascinant endroit mythique.
J'ai eu la chance de pouvoir visiter le cottage, qui,
après avoir été un hôtel, a été scindé en deux maisons.
[Le copyright de ces photographies appartient aux propriétaires
respectifs des deux maisons que je remercie pour leur
bienveillance et leur immense patience. Je reproduis ces
images avec leur permission et tout autre personne n'en
possède pas le droit.]
Grâce au livre de Mary Ansell (Barrie), The
Happy Garden, et à la sagacité de Robert, nous
avons pu établir des lignes de démarcation entre l'ancien
(ce qui appartenait à l'époque de Barrie) et le moderne.
Par exemple, j'ai pu retrouver l'endroit exact où était
disposé le fauteuil de Barrie grâce à la photographie
de cet article...
La cheminée que l'on entrevoit est toujours là, presque
identique. Je pourrais poser la photo sur le mur et laisser
le lieu actuel prolonger en hauteur et en largeur l'image
gravée sur la feuille. C'est un grand bonheur d'avoir
l'illusion de pouvoir s'approprier des lieux et une époque
révolue, ne serait-ce qu'un instant... A
SUIVRE...