Le monde de James Matthew Barrie


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Voyage à Édimbourg et aux Hébrides (Part I) - Mai 2009

 

Du 25 avril 2009 au 2 mai 2009, nous repartîmes à la conquête de l'Écosse,

afin de retrouver le fantôme de James, ici et là. La première étape fut Édimbourg (juste frôlée lors d'un précédent voyage en Écosse), où nous rendîmes quelques hommages à des amis de J.M.B. : Walter Scott, Robert Louis Stevenson et Conan Doyle, comme les images et les vidéos suivantes vous le prouveront...

La statue de Sherlock Holmes...

 

[Vous pouvez agrandir toutes les images de cette page d'un simple "clic" ! J'ai le regret de devoir "marquer" mes photos ; en effet, il m'est pénible de me faire piller encore et encore...]

1. Édimbourg

J'ai choisi notre majestueux hôtel et non un autre parce qu'il s'est installé dans les anciens locaux du journal The Scotsman, pour lequel Barrie écrivit, lorsqu'il était jeune.

 

Lorsque nous l'avons visitée, la ville était éventrée ici et là par des travaux.

Un tramway est en construction. C'est sutout dommageable sur Princes Street. Mais ce qui m'a le plus choquée, c'est la cohabitation désastreuse de la noble tradition de monuments très anciens ou de maisons du passé, glorieuses et fières, avec des constructions modernes d'une laideur qui n'en est que plus frappante par contraste. Et ceci est irrémédiable.

L'une des choses qui m'a le plus fait rêver... ce sont les toits de la ville, que je n'ai cessé d'observer et qui m'ont inspiré une histoire..

Mais ce qui emporte au-delà de tout mes sentiments ce sont les pierres grises et les légendes qu'elles cachent dans leurs craquelures.

Au restaurant de notre hôtel, j'ai rencontré un Monsieur Holmes (!), qui a étudié pendant trois ans la littérature anglaise et qui était, semble-t-il, admiratif (pourquoi ?) de mon plaisir à lire Shakespeare et Chaucer - celui-ci avec difficultés mais passion - dans le texte. Espiègle, il me raconta une histoire à laquelle je ne crus pas d'abord, mais qui s'avéra véridique : chaque jour, à une heure de l'après-midi, quelque chose se produit dans la ville. Je l'ignorais, ce qui prouvera combien je peux être aveugle (sourde, en l'occurrence) à tout ce qui ne relève pas de ma passion directe pour J. M. Barrie et combien le monde comporte de secrets pour moi.

Le premier jour, nous avons fait approximativement, Edinburgh Castle compris, une vingtaine de kilomètres (à pied - sigh !) d'après M. Golightly, et je ne m'en suis jamais remise, car je suis d'une faible constitution physique, comme la suite vous l'apprendra. Nos pas nous ont conduits à divers endroits de la ville que j'avais épinglés sur ma cartes des semaines auparavant, comme autant de bonheurs anticipés.
Un tropisme nous conduisit ici et là, dans une flânerie qui comportait peu d'improvisation, celle-ci viendrait plus tard. Du côté de chez Stevenson...

 

8 Howard Place. Son lieu de naissance, autrefois musée, aujourd'hui habitat privé. J'aime penser l'enfance des grands écrivains. Et l'enfance de Stevenson me fascine (souvenez-vous de son Baby Book). Je pourrais, une autre fois, muni de ce livre trouvé au Writers' Museum,

traverser Édimbourg en sa compagnie. Le 17 Heriot Row, où il vécut longtemps, attirera notre attention lorsque nous reviendrons à cette ville. Il y vécut plus longtemps et en conçut des souvenirs (Cf. Memoirs of Himself, 1880, Tusilata Edition). Aujourd'hui, la maison appartient à des particuliers et est reconvertie en Guest House.

Nous rendîmes aussi un irrévérencieux hommage à Doyle, que j'évoque souvent ici sur le ton de la camaraderie, alors qu'il faudrait en parler plus sérieusement...

 

Nous fîmes également halte à Castle Street, au 10 (désormais une banque)

et au 32,

où vécurent respectivement les Shelley (Harriet et non Mary) et Kenneth Grahame, pour finir par traquer l'ombre de l'inspecteur Rebus à l'Oxford Bar.

 

L'Écosse n'est pas déjà un souvenir pour moi, puisque j'y retournerai dès que possible. Et pas seulement en songes...
Édimbourg, une ville qui a des teintes d'automne même au printemps ou en été,

[Princes Street.]

peut-être à cause de la couleur de ses pierres grises, si caractéristiques de l'Écosse que je connais, qui donnent une ombre à chaque luminosité, peut-être à cause du soleil voilé qui poudre de mordoré chaque fragment de la ville.
Lorsque j'ai vu les pointes de ces grilles j'ai évidemment pensé à la triste fin du héros de Barrie, Tommy, qui meurt empalé sur l'une d'entre elles...
Toujours scintille dans la ville quelque chose d'inattendu,

toujours craquelle la surprise sous le vernis du prévisible. Comme ces closes (passages) si pittoresques qui me rappellent certaines traverses de Venise.

C'est par l'un de ces closes que l'on trouve le fameux Musée des écrivains, (The Writers' Museum) tout à la gloire de Burns, Scott et Stevenson. Un endroit charmant, où l'on peut admirer, entre autres, les bottes que portait Stevenson à Samoa ! Il y a des dizaines et des dizaines d'effets personnels des gloires littéraires susnommées.

J'ai aimé Édimbourg. Beaucoup. Pourtant, c'est une ville que l'on aime par degrés, me semble-t-il, et je suis un être de l'instantané, de l'immédiat, vorace de l'instant, impatiente, brutale même. Une émotion à rebours. Est-ce simplement subjectif ? En tout cas, ce fut ce que je ressentis et je crois être très sensible aux lieux, aux bruits, aux couleurs, aux odeurs. L'intellect vient toujours en second chez moi, à la traîne des sens et de l'imagination. Aucune fulgurance physique lorsque je me retrouvai face à la ville souveraine, comme lorsque le voyageur rencontre pour la première fois Venise ou New York, par exemple, mais plutôt l'acceptation muette d'une certaine rigueur ou sévérité dans la mise qui m'imposa un retrait contemplatif. L'amour vint ensuite, par insinuations progressives, comme une marée qui inlassablement vient vous lécher, vous frotter, vous éroder et détacher de vous, parcelle par parcelle, votre réserve, pour mettre à nu la sensibilité dépouillée de tous ses travestissements. Aucune forfanterie ne pare Édimbourg, mais avec quelle fierté elle vous regarde ! Vous baissez alors le regard sur ses pavés. Puis, vous relevez timidement la tête pour être égayé soudain par quelque détail moderne ou passé.

La porte d'entrée de mon voyage fut peut-être, comme me l'a fait remarquer mon Amie Fauna, le Monument Scott, et pas seulement parce que j'admire grandement cet auteur - il me reste beaucoup à lire de lui en anglais.

Ma première visite à Édimbourg, ou mon premier souci, me conduisit naturellement à l'endroit où vécut J. M. Barrie de 19 à 22 ans : 3 Great King Street.

James vécut ici, il y a bien longtemps... Une plaque commérative est apposé sur la façade de cette maison, où il loua une chambre, dans sa jeunesse.

 

Un peu de repos s'imposait après une visite si émouvante et nos pas nous conduisirent vers un adorable musée, posé comme par enchantement sur High Street,

non loin d'une étonnante boutique, The Nutcraker Christmas Shop. Une visite clin d'oeil qui, je le souhaite, vous donnera envie de vous rendre sur place le découvrir. Imaginez un endroit dévolu entièrement à l'enfance victorienne et édouardienne, mais aussi plus récente. Un délice pour l'imagination et le regard...


J'ai pu admirer une robe de baptême qui ressemble exactement à celle dont la mère-personnage de J. M. Barrie ne cesse de faire l'éloge dans Margaret Ogilvy :

"Dès lors, sa santé fut délicate et, pendant des mois, elle fut très malade. Sa première demande fut qu’on lui montrât la robe de baptême, m’a-t-on raconté, et elle la regarda longtemps, puis tourna son visage vers le mur. Pendant mon enfance, c’est ce qui me fit croire que c’était la robe dans laquelle il avait été baptisé. Plus tard, j’appris que nous avions tous été baptisés dans ce vêtement, de l’aîné au benjamin, que vingt ans séparaient. Des centaines d’autres enfants furent baptisés dedans ; de telles robes étaient alors une possession rare et le prêt de la nôtre était l’une des gloires de notre mère. On la transportait soigneusement d’une maison à l’autre, comme s’il se fût agi d’un enfant ! Ma mère faisait grand cas de ce vêtement, le défroissait, lui souriait, avant de le mettre dans les bras de ceux à qui il était prêté. Elle siégeait sur notre banc à l’église pour le voir porté avec magnificence (avec quelque chose à l’intérieur !) le long de l’allée en direction de la chaire, quand un frisson d’agitation et d’impatience parcourait l’intérieur de l’église ; nous nous donnions des coups de pied sous le pupitre mais notre visage ne cessait dans le même temps d’exprimer notre piété. Dans l’intervalle, quel que fût le comportement de l’enfant – il pouvait rire sans pudeur ou hurler à la grande honte de sa mère – et quoi que fît le père, tandis qu’il l’élevait, l’air idiot probablement, et s’inclinant au mauvais moment, la robe de baptême les faisait bénéficier de sa longue expérience et les aidait à se tirer de ce mauvais pas. Quand la robe lui était rendue, elle la prenait dans ses bras, aussi délicatement que possible, comme si elle s’était endormie, puis elle la pressait, sans s’en rendre compte, contre sa poitrine. Il n’y avait rien dans la maison qui lui parlait avec autant d’éloquence que la petite robe. C’était le seul de ses enfants qui demeurait un bébé. Et elle ne l’avait pas cousue elle-même, ce qui à mes yeux était une chose bien merveilleuse, car elle semblait avoir confectionné elle-même tout ce que nous portions. Tous les vêtements dans la maison étaient nés de ses mains et c'est se méprendre sur elle que d'imaginer qu’ils étaient démodés. Elle les transformait et leur donnait une allure nouvelle. Elle les reprisait et leur offrait une autre vie. Puis, elle les persuadait par la ruse de se métamorphoser en autre chose pour la dernière fois. Ensuite, elle les élargissait et les reprenait de nouveau, en posant un nouveau galon, après quoi elle ajoutait un morceau de tissu dans le dos, et ainsi le vêtement passait d’un membre de la famille à l’autre, jusqu’au plus jeune. Et, alors même que nous en avions fini avec eux, ils réapparaissaient sous une autre forme. À la mode ! Je dois revenir sur ce sujet. Aucune femme n’avait un œil pareil : elle ne possédait aucune gravure de mode ; elle n’en avait nul besoin. La femme du pasteur (une cape), les filles du banquier (la nouvelle manche) : elles n’avaient qu’à passer une seule fois devant notre fenêtre, et le scalp, si je puis m’exprimer ainsi, était entre les mains de ma mère. Regardez-la se précipiter, les ciseaux en main, un fil dans la bouche, en direction des tiroirs où les vêtements du dimanche de ses filles sont rangés ! Ou bien allez à l’église dimanche prochain et regardez certaine famille qui y pénètre en file indienne : le garçon lève ses jambes assez haut pour faire le fier et montrer ses nouvelles bottines, mais tous les autres demeurent discrets, spécialement la timide petite femme à l’air si peu perspicace qui se tient en arrière. Si vous étiez à la place de la femme du pasteur ce jour-là ou à celle des filles du banquier, vous auriez un choc ! Mais elle avait acheté la robe de baptême et, quand j’avais coutume de lui en demander la raison, elle rayonnait et paraissait réfléchir, puis répondait qu’elle voulait être une fois dans sa vie dispendieuse ! Et elle me dit, sans cesser de sourire, que plus une femme avait tendance à coudre et à fabriquer les choses elle-même plus grand et ardent était son désir ensuite de se précipiter dans un magasin et « de faire des folies ». La robe de baptême, avec ses tuyautés pathétiques, a plus d’un demi-siècle maintenant et elle commence à se faner un peu, à la manière d’une pâquerette dont le temps est passé, mais elle est conservée avec autant d’affection qu’autrefois. Je l’ai vue en exercice, à nouveau, l’autre jour." (notre traduction)

Sans omettre Punch et Judy,

héros célèbres, dont le même J. M. Barrie réinvente, si l'on peut dire, les aventures dans Le petit oiseau blanc. Une notice nous informe que, de nos jours, ces personnages n'ont plus de succès auprès des enfants car ils sont trop... violents ! Incroyable lorsque l'on songe à toute la violence, non cathartique, bel et bien gratuite, qui abreuve dès le biberon les enfants de notre siècle.

Edinburgh Castle

Bonnie Prince Charlie échoua, comme chacun sait, et le siège jacobite de 1745 fut le dernier de son histoire...
Depuis longtemps, le château d'Édimbourg, construit sur un roc volcanique, qui surplombe la ville, est une icône de l'Écosse à de nombreux titres... Mon intérêt s'y est déporté tout naturellement puisque je m'intéresse à l'histoire de l'Écosse, dont la connaissance est fondamentale pour comprendre la littérature issue de ce pays et également, mais dans une moindre mesure, l'oeuvre de J. M. Barrie.
Je partage avec ce peuple l'amour des animaux et des chiens en particulier, c'est ainsi que je fus très émue par un petit cimetière pour chiens que l'on peut apercevoir en ce lieu. Les cimetières d'animaux provoquent en moi un élan que j'ai déjà indiqué ici, en plusieurs occasions, notamment celle qui me conduisit à relater ma visite au Glamis Castle.
L'un des attraits majeurs de ce château pour les visiteurs est, bien entendu, l'exposition des "Honours of Scotland", qui furent retrouvés par Sir Walter Scott, et la Stone of Destiny.
Cf. cette page.
J'espère avoir un peu de temps pour parler comme il se doit de ce château, un peu plus tard...
Nous l'avons visité un jour de grand vent ; la pneumonie est l'un des dangers immédiats encourus lors d'une telle visite...

 

The old College

J.M. Barrie fut étudiant à l'université d'Édimbourg. Ce ne fut pas une période particulièrement heureuse de son existence. Il se nourrissait presque exclusivement de pommes de terre qu'il conservait dans un sac, dans sa chambre (au 3 Great King Street, comme nous le mentionnions plus haut)... (Cf. la description de Cynthia Asquith dans son Portrait of Barrie.)

Il n'alla à l'université que pour satisfaire les ambitions de sa mère, alors qu'il savait que son seul et unique désir était de devenir écrivain (bien qu'à mon sens l'un ne soit pas incompatible avec l'autre, à son époque en tout cas, car aujourd'hui l'université est souvent une indigne Alma Mater, tant du côté de ses maîtres que de ses élèves... Qui enseigne encore pour exalter chez les jeunes gens autant la vertu et l'audace d'être soi-même que l'émulation et le savoir ? Qui étudie afin de tirer de soi le meilleur et non pas dans l'idée de se faire une misérable place à la table du banquet des lâches orgueilleux ? Il en reste trop peu de ces gens-là qui n'ont que le désir de la connaissance et la féroce joie de la transmission...). Il souffrit donc de la faim à Édimbourg et de solitude, car les autres semblaient étonnés en présence de ce jeune homme de la taille d'un enfant. Ou peut-être était-ce déjà son regard qui les inquiétait...

Plus tard, par l'ironie des choses, par une justice qu'il me plaît de croire liée à son destin de génie littéraire - destin fabriqué et non subi -, il devient "Chancellor" de cette université. À l'occasion de cette cérémonie, il délivra un vibrant discours, The Entrancing Life [que l'on peut traduire par "La vie enchanteresse" - mais une vie que l'on enchante soi-même, une vie qui a un charme au sens magique presque...], en 1930.

J.M. Barrie avait un talent inouï pour les discours, distillant autant l'humour un peu cruel qu'un sens profondément humain de l'essentiel dans l'existence de tout homme. Tout le monde connaît d'instinct cet essentiel, même les moins intelligents d'entre nous, mais cette vérité semble tellement simple que nous l'abandonnons souvent pour des idées que nous croyons plus promptes à nous mettre en valeur et en position de force face aux autres. Une erreur, bien entendu.

Je vous traduis, trop rapidement hélas, un petit extrait significatif, je le crois, de l'état d'âme de J.M. Barrie. Ne croyez pas, et il le dit lui-même à la fin du discours qu'il s'agisse d'une "prêche".

"Ce que vous avez appris vous a-t-il enseigné que la Jalousie est l'un des vices qui consume et détruit le plus, mais est également le plus grand pouvoir en n'importe quel endroit du monde ? Êtes-vous un peu plus modéré dans vos idées ? Possédez-vous davantage de charité ? Suivez-vous un peu mieux - et ceci vaut autant pour le reste d'entre nous que pour vous - les préceptes de la gentillesse et de la vérité ? Il se peut que vous soyez très intelligents, destinés à recevoir les lauriers, et il est possible que vous ayez ri des malchanceux qui se battirent pour une bourse d'étude ou pour réussir, puis qui échouèrent et durent abandonner là les ambitions qui leur étaient chères. Mais si cet échec leur a appris ces leçons-là, il se peut bien qu'ils aient reçu un meilleur enseignement que le vôtre.

Il est possible que vous découvriez, à la fin, que votre vie ressemble à une pièce en trois actes dont le deuxième serait omis. Dans l'agencement soigneux de la pièce, sur scène, chaque acte conduit doucement au suivant ; ils s'expliquent l'un l'autre ; mais il se peut que cela ne soit pas le cas dans votre pièce, et c'est ce qui advient pour beaucoup d'entre nous. En moins de temps qu'il ne m'en faut pour l'espérer - car je souhaite que vous soyez joyeux, en ce matin qui est celui de la remise de vos diplômes -, il vous semble possible, dans l'acte final, d'être loin devant. Il y a eu un deuxième acte, le plus long de vos actes, mais vous avez probablement gardé peu de souvenir de celui-ci. Vous savez simplement que cet homme ou cette femme que vous êtes devenu n'est pas celui ou celle que vous aviez pour but de devenir en ces jours passés sur les rivages du Firth of Forth. Il est même possible que cela n'ait pas calmé vos ambitions, si la prospérité vous a permis de satisfaire de vieilles aspirations. Il est possible que vous ne soyez conscient de l'heure ni de la façon dont le voleur s'est introduit, une nuit, ni que vous sachiez que c'est vous qui lui avez ouvert la porte. Mais quelque chose de mauvais vous a pénétré pendant le deuxième acte et cette chose est demeurée calme en vous jusqu'à ce qu'elle soit devenue votre démon intime. Lentement, furtivement, elle vous a poussé ; elle n'a jamais cessé de vous pousser doucement, car elle ne se fatigue jamais, jusqu'à ce qu'elle vous ait fait sortir de vous-même et ait pris votre place. Vous pouvez quelquefois faire le tour du logement terrestre qui, jadis, vous contenait, essayant de le regagner. Peut-être y parviendrez-vous. Cela arrive parfois. Cependant, nous pouvons espérer que, par la grâce de Dieu, ce qui vous a pénétré était bon. Tout ce que je peux vous assurer c'est que, pendant ce deuxième acte sur le point de débuter, quelque chose pénétrera en vous : cette chose vous fera ou vous détruira. (...) Tenez-vous à savoir ce que je crois être une vie enchanteresse ? Cette conjecture résume tout ce que j'ai essayé de vous dire aujourd'hui. Carlyle tenait le génie pour un don infini à se donner du mal. Je ne sais rien du génie, mais la vie enchanteresse, je le pense, doit être l'amour infini que l'on éprouve à se donner du mal. Faites-en l'expérience. "

Le fantôme de la Grande Guerre hante ce discours ; l'ombre de la suivante le traverse.

Barrie prononça ces mots sept ans avant sa mort devant des étudiants et des professeurs.

[Image offerte par Andrew Birkin]

C'est à ce discours auquel j'ai songé en pénétrant dans la cour de cette université.

Il le prononça le 25 octobre 1930.

 



***


Who could ever hope to tell all its story, or the story of a single wynd in it?
J.M. Barrie

Holyrood

Je vais terminer ce récit un tantinet décousu, du moins provisoirement, par une petite visite au château de Holyrood. Je ne serais peut-être pas allée à Holyrood si je n'avais pas su la dévotion que le personnage de Mary Stuart, Mary Queen of Scots,

une biographie possible du personnage)

inspira à Barrie. Dans Margaret Ogilvy, par exemple, il écrit ceci :

"Dans un vieux livre, je trouve des colonnes de notes au sujet de travaux projetés à cette époque, qui consistent presque tous en des essais sur des sujets dépourvus d’intérêt. Le plus frivole devait être un volume sur les anciens satiristes, commençant avec Skelton et Tom Nash . La moitié de ce manuscrit repose encore dans un coffre poussiéreux. La seule histoire était au sujet de Mary, Reine d’Écosse , qui était aussi le sujet de nombreux articles non écrits. Il semble que la Reine Mary m’ait amené à ma perte depuis ma découverte d’Holyrood . Que je puisse me lancer dans ce roman me fait terriblement peur encore aujourd’hui." (notre traduction)

Dans la plupart de ses histoires, il n'est pas rare qu'une allusion à Mary traverse le récit. Mary Stuart, Bonnie Prince Charlie et Flora MacDonald sont des personnages héroïques aux yeux de Barrie. Comment ne le seraient-ils pas aux miens ?

 


À l'intérieur de ce château, la visite est somptueuse, et je suis heureuse d'avoir pris sur mes dernières forces pour m'y rendre. On peut traverser et se recueillir dans les appartements de Mary Queen of Scots

[Gravure extrait de ce livre-ci, absolument fabuleux.]

et frémir à l'endroit où fut tué, sous ses yeux, son secrétaire, David Rizzio, par son mari jaloux, Darnley - qui sera lui aussi assassiné avec la complicité de Mary par son futur et troisième mari, le comte de Bothwell. La figure de Mary est difficile à percevoir nettement. Il y a tant d'ombres dans son histoire et cette femme est à la fois victime et tout autant coupable.

Mais qui peut juger un autre que soi-même ?

 

Mary y épousa son deuxième mari.

Je vous renvoie à cette page-ci.

2. Les Hébrides extérieures : l'île de Lewis / Harris

Je n'oublierai jamais notre séjour sur l'île de Lewis / Harris.

Voici, pour commencer, les vidéos les moins impressionnantes de Lewis - quoique le ciel à la Friedrich donne ici parfois un aperçu de son velouté violent mais il est encore plus inquiétant lorsque l'on se trouve sur place... Une puissance dionysiaque ! Tous les éléments combattent en ce point du globe. Cette vidéo réalisée lors de notre arrivée, près de notre merveilleuse Guest House,

située dans le village nommé Back, donne le visage le plus paisible de l'île. J'ai projeté un prénom dans le vent, celui d'une personne remarquablement douée et vivante, que j'aime profondément, l'Amie. J'espère que l'écho le lui a rendu. Je crois que oui...

Le lendemain de notre arrivée, nous partîmes en direction de l'île de Harris, qui est la partie la plus lunaire de cette géographie sauvage.

Lewis et Harris - l'île que l'on sépare en deux parce qu'elle fait coexister en son sein deux univers différents et deux reliefs contrastés, mais qui n'est qu'une géographiquement - composent un paysage vraiment étrange et vous incitent à un curieux voyage dans vos pensées si vous prenez le risque d'approcher. Un mystère inquiétant vous enroule dans d'indescriptibles tourments dès que vous y posez la pointe du pied. Je n'ai pas encore trouvé de mots pour l'exprimer, mais j'ai eu certaine prescience... Très rapidement, j'ai eu le sentiment qu'il était temps pour moi de partir - mais je reviendrai, car ma mission n'est pas tout à fait achevée. Si j'étais demeurée quelques jours de plus, je pense que ma complexion n'y aurait pas résisté. Ne vous méprenez pas : j'aime à la folie cette double île, mais elle comporte certains dangers que j'ai immédiatement identifiés. Elle est propice au Weltschmerz, à la mélancolie langoureuse et amoureuse d'elle-même, à l'engourdissement des sens et de l'esprit (vous êtes anesthésiés pendant que la maladie - un romantisme noir - s'empare de vous) et, pour finir, je pense, à un désespoir absolu, inconscient de lui-même, qui peut conduire à la mort celui qui l'abrite.
Je suppose que la fascination qu'elle exerce sur des âmes trop sensibles peut aller jusqu'à la perte de soi. Pour vivre ici, il faut un tempérament d'insulaire, une prédisposition, un instinct que ne confèrent pas seulement la naissance ou le choix tardif de cette île, car c'est l'île qui décide de vous prendre ou de vous rejeter et ce n'est jamais vous qui avez cette liberté. Si vous le croyez, vous êtes à jamais perdu à vous-même. C'est parce que j'ai eu conscience de ceci qu'il fut rapidement temps que je parte, même s'il était également trop tard... L'île est délétère pour moi, car elle flatte mes penchants mélancoliques et parce que je sens qu'elle puise en moi des forces vitales et qu'elle s'abreuve à mon âme.
Je crois avoir compris pourquoi Barrie aimait ces Hébrides-là : l'ambiguïté, la cruauté et le sublime des lieux.
Quand le paysage se déroule devant vous, vous comprenez que vous êtes ailleurs. Vous suffoquez. Vous êtes pris. Aucun retour en arrière n'est possible et, pourtant, vissé au coeur, vous n'avez plus que ce désir désormais impossible à satisfaire aussitôt qu'il se transmet à vous.
Paysage lunaire, sentiment d'être du bout du monde ou d'être le témoin d'une fin de l'univers sont quelques-uns des sentiments qui m'ont prise à la gorge. J'espère que nos vidéos restitueront ce climat. Mais il faut le vivre, je crois, pour le comprendre véritablement. C'est une expérience que l'on ne peut ni partager ni transmettre, en aucune manière.


Nous sommes allés nous recueillir avec le passé et les légendes à Callanish.

Callanish - ou Callernish ou encore Callainn en gaélique semble étymologiquement, d'après mon petit dictionnaire - désigner l'ancienne nouvelle année (le 13 janvier actuel) ou le 31 décembre.
Le site est intéressant car c'est le seul site de ce type à Lewis où les pierres sont disposées en forme de croix chrétienne.


Des légendes nombreuses se rattachent à ce lieu très spécial. Je vous les raconterai peut-être un jour...
Ce lieu est très impressionnant, l'envoûtement qu'il provoque est puissant, à l'image du reste de l'Île.

À lire :



Les îles m'ont toujours fait rêver. Et je crois que ce fut d'abord la faute d'Enid Blyton (qui fut longtemps un homme dans mon esprit). Je me rêvais pendant des années membre des Famous Five. Stevenson et Ballantyne vinrent après attiser cette passion. Puis, je découvris, sans jamais cependant l'accepter, que j'étais une personne très ordinaire qui ne vivrait jamais de telles aventures, mais qui pouvait en inventer, ce qui était presque aussi bien et peut-être même mieux. Ainsi, je ne fus jamais désespérée par ce rêve, tant que j'avais près de moi un papier et un crayon et deux paupières à fermer solidement pour mieux rêver dessous.

Jadis, il y eut l'explorateur Scott, le Capitaine Robert Falcon Scott, mort tragiquement (la lettre d'adieu écrite à Barrie, alors qu'il savait qu'il allait mourir, est déchirante ; elle est présente dans le livre ci-dessous), dont le fils était le filleul de J. M. Barrie.

Le demi-frère (par la mère, Kathleen Bruce) de ce filleul était le propriétaire (Lord Kennet est, hélas, décédé cette année), avec son épouse, de l'ancienne maison de Barrie, à Bayswater, à Londres, là où je perdis les gants guimauve en 2007. Souvenez-vous.

En ce mois d'avril de l'année 2009, nous assistâmes donc à la naissance d'un autre type d'aventurier, d'une exploratrice (très peu) douée, dont la carrière s'acheva en une journée – ce qui est, en soi, un record, il convient de le souligner.

Le but de la mission était pourtant aisé : atteindre l'île de Mary Rose, en suivant les indices laissés par Andrew Birkin sur son magnifique site, dont le travail est un modèle pour moi et à qui je dois beaucoup. J'aime et admire Andrew, qui est un gardien sincère, généreux et courageux de la mémoire de Barrie. Jamais je n'oublierai le jour où le facteur m'apporta un colis enveloppé de papier brun. A l'intérieur, une édition originale du Little White Bird signée de la main de son auteur sur une page, une dédicace d'Andrew sur l'autre. Je veux être brûlée avec ce livre lorsque je mourrai. Je rappelle également qu'il m'avait offert sur DVD le contenu de sa base de données et que je n'ai pas encore fini de l'explorer - mais je suis plus douée, heureusement, pour ce genre d'explorations intellectuelles et imaginaires. Les images ci-dessous sont donc celles d'Andrew lorsqu'il se rendit là-bas, plus de 30 ans avant moi. A une différence près : Andrew avait un canot pour s'y rendre et pas moi! Ce qui prouve le bon sens de cet homme.

Je rêvais de cueillir la même bruyère qu'Andrew. Mais il y a loin de la main à l'île et à la bruyère qui pousse entre ses crocs en roc...

L'île de Mary Rose, grosse comme une main d'enfant, est bien plus petite que celle que Barrie décrivit dans sa pièce. Même si nous avions atteint le loch, nous n'aurions pu, sans canot, y poser le pied. Dois-je préciser que je ne sais pas non plus nager ?

Sur la route, nous vîmes un loch avec une île posée qui est, pour moi, comme une soeur de celle qui me restera interdite.


L'île dont s'inspire Brigadoon est située sur l'île de Harris (une île dans une île, à l'infini... mon phantasme...), posée sur un loch, le loch Voshimid - ou Boishimid en gaélique. Grâce à Robert, qui m'avait indiqué quelles étaient les cartes

que nous devions acheter afin de trouver ce lieu magique, nous fûmes en mesure d'emprunter la route idoine en voiture et d'atteindre un sentier pédestre qui devait nous conduire au but, le sentier au bout duquel le loch apparaît. En tout cas, c'est indiqué sur la carte :

Le seul problème était que ce sentier était long d'environ 10 kilomètres. Soit 20 kilomètres à faire à pied, non équipés, sur un chemin caillouteux, boueux, difficile à pratiquer en chaussures vernies (les miennes), et sans moyen d'utiliser nos téléphones en cas de pépin (j'avoue ne pas y avoir pensé dans le feu de l'action). De notre Guest House à cette portion de l'île de Harris, il avait déjà fallu affronter 1h40 de route. Une route à laquelle mon estomac ne résista pas, car je suis malade en voiture comme un chien. Pour M. Golightly, ce fut une partie de plaisir. Comme tous les garçons, il adore les voitures et se rêve pilote de rallye. Il a la conduite nerveuse qui va avec ce rêve...

M. Golightly, d'ordinaire si posé, au flegme britannique affirmé dans les plus dramatiques circonstances, aussi imperturbable qu'un horse guard à Buckingham Palace, m'a soudain regardée dans les yeux, haussant à peine un sourcil moqueur, et a dit ces simples mots : "C'est dément !" Le rire était proche et il voulait le conserver par-devers lui, par égard pour la personne si fière et si prompte au péril le plus grotesque qu'il avait en face de lui, mais il n'a pu le retenir indéfiniment, tant la situation devenait... folle. Mais il s'est ressaisi bien vite : "C'est dément. Mais je suis prêt à le faire... si tel est ton désir." Pourquoi a-t-il dit cela et pourquoi mon coeur s'est-il gonflé à cet instant de fierté pour mon héros ? Sachez simplement que nous avons vraiment vécu l'aventure et que, même si ce fut un demi-succès ou un demi-échec, j'ai vécu intensément cette quête... Celle d'une île grosse comme la main d'une enfant que je n'ai pas atteinte.

Dès le départ, M. Golightly était dubitatif, mesurant les difficultés en homme pragmatique et les moyens pour les contourner, mais enthousiaste. Délesté de son fardeau (moi), il aurait atteint le loch, je le sais. Mais je ne voulais pas qu'il fît le chemin seul.

D'où le "c'est dément !" de M. Golightly, lorsque nous empruntâmes le sentier pédestre et lorsqu'il comprit, après un ou deux kilomètres, qu'il devrait... me porter jusqu'au loch à l'aller et au retour. Or, je pèse plus lourd que M. Golightly... C'est ainsi que je renonçai sur le chemin. Mais M. Golightly me promit un retour sur le lieu, un jour, et il tient toujours ses promesses. Or, je ne suis plus sûre de vouloir connaître cette île. Son idée m'est davantage nécessaire que sa présence effective.

En images et en vidéos notre parcours d'aventurier, ci-dessous.







Le vent, si violent, couvre complètement mes paroles et j'ai le visage tellement gelé que je ne parviens pas à parle comme il faut...



 

Sur le chemin - presque deux heures de route de l'île de Lewis où nous résidons jusqu'à l'île de Harris (capitale du tweed) -, à 30 kilomètresà l'heure sur des routes à double sens (de la largeur d'une seule voiture), où il est donc souvent impossible de croiser une autre voiture (passing places), où moutons et vaches font la sieste en pleine voie, où pendant des kilomètres vous ne voyez pas âme qui vive, nous avons de manière improbable aperçu ceci, surgi de je ne sais où :

(une voiture ancienne, qui n'avait même pas de clignotants !) M. Golightly a dit la seule chose sensée en ces circonstances : "Monsieur Barrie, dans les années 20, a pu emprunter la route dans une telle voiture... En fait, c'est lui..." Et il a dit cela au moment où j'avais perdu la foi. Voilà pourquoi je l'aime.

Et la journée s'est terminée ainsi, par la découverte d'un endroit où Barrie grava ses initiales sur une vitre... (Andrew Birkin fit cette découverte bien avant même, lorsque la fenêtre était encore "en service"...)

[Remerciement au personnel de l'hôtel Harris pour leur gentillesse.]

Holly en explorateur, jumelles en main, c'est vrai, c'était dément... Je ne peux garantir plus de sagesse la prochaine fois, cependant.

Voir : Sur les traces de Flora MacDonald (juillet 2009) 

 

~Part I : À londres, sur les traces de

J.M.B.
~

~Part II : L'Écosse ~

~Part III : Black Lake ~

~Part IV : Édimbourg et Les

Hébrides ext. (Part I - Part II) ~


~Part V : Les Hébrides int. (voyage

en devenir) ~

~Part VI : Stanway (voyage en

devenir) ~

 


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