Parfois, il existe des êtres reliés
à leur enfance par une sorte de cordon ombilical imperceptible
à la plupart des regards ; une espèce de lien
de laine les traverse de part en part, reliant chaque fragment
de leur être et se constituant soudain - quand on perd
le fil de son déroulement - en un écheveau de
veines et d’artères poreuses, qui tremperait d’un
côté dans le lait de la mémoire et qui s’égoutterait
de l’autre dans l’être adulte, le nourrissant
en permanence de ce nectar interdit dans l’univers d’efficience
scientifique, de rationalité philosophique, ou de sens
banalement commun, pourvu de l’utile, du nécessaire,
du vital ou prosaïque. Il y a donc ceux qui boivent le
nectar et ceux qui s’enivrent de Léthé.
Il y a les dieux et les hommes et ce n’est pas qu’une
hiérarchie ou une image mythologique. Entre les deux
races ou strates supérieures du monde, il existe des
hybrides, ceux qui doivent fabriquer leur nectar avec l’alambic
de leur imaginaire, les artistes et, très spécialement,
les écrivains. Le Léthé est le contrepoison
des hommes ordinaires ; le nectar est le filtre d’amour
que l’artiste absorbe pour se convaincre d’aimer
ce qui est. Il lui permet d’enchanter le prosaïque
et d’en tirer à lui un charme qu’il ne fait
peut-être qu’inventer.
Il faut trouver en nous où est logée
la balle en or tiré par le revolver du Temps.
Cet agrégat de métal est le noyau d’enfance,
qui a partie liée avec l’inconscient en nous, qui
ce qui permet la dualité affirmée chez certains
être littéraires, le pivot qui articule le latent
au manifeste, le rêve au réel. Enfance n’est
pas la compilation des événements que l’on
raconte à ses petits-enfants ou à ses enfants.
Enfance n’est pas une durée que l’on peut
émietter en faits. Enfance est un secret, celui de la
conscience qui naît, qui se surprend en train d’être
et qui se regarde penser. Acteur et spectateur de l’action.
Le rosebud de Welles, dans son Citizen Kane, est le symbole
ou la métaphore du noyau d’enfance. Métaphore
qui bouge et court prendre place et rôle dans le film
de Truffaut, Les quatre cents coups, lorsque l’enfant-héros,
avec son ami, vole une affiche du film d’Orson Welles…
Nous brisons très vite les vitres du royaume de l’enfance.
Nous caressions le monde, nous jouions avec son idée
; désormais, le corps nous appelle à la maturation
et nous maltraitons le petit royaume que nous habitions, qui
nous abritait et que nous voulons habiter et posséder,
essayant de lui imprimer par la force notre empreinte. La gratuité
n’est plus de mise. On fait payer à l’univers
sa venue au monde. On veut du sens !
Quelques miettes, des images picorées
ici et là, qui demeureront en moi, y prendront racine
et feront éclore quelques arbres-livres, des histoires-oiseaux
qui s'envoleront un jour...
Loin d'être le plus beau loch d'Écosse, le loch
Ness n'a pas provoqué en moi d'émotions notables.
J'ai contemplé dans les Lowlands des lochs plus vivants,
aux couleurs dansantes ; celui-ci est long, étale, paresseux
; nous en avons simplement épousé les contours
pour nous rendre à Eilean Donan Castle...
Non, je ne n'ai pas été piégée par
les attrape-nigauds, qui font pounds et pence de tout morceau
de la bête. Non, j'ai vraiment rencontré Nessie
! La preuve !
[Cliquez sur les photographies pour les voir
en grand format.]
Je poursuis la route des Jacobites. Culloden
est proche. {Je vous recommande, à cet égard,
l'inoubliable film de Peter Watkins.}
Eilean
Donan Castle
J'ai parcouru cette petite portion de l'Écosse
avec Michael Jackson au creux de l'oreille, bercée ou
provoquée par les titres gravés dans le coffret
The Ultimate Collection.
Je voulais associer la découverte du
Château de mes rêves (au moins à égalité
avec Neuschwanstein) avec la voix de Michael, afin de créer
en moi un lien d'éternité entre une image et un
son, phénomène que j'avais expérimenté
l'année dernière en Bavière, lors d'un
moment parfait. Une sorte de tatouage psychique. J'ai choisi
la magnifique chanson intitulée "Fall Again"
pour m'accompagner dans cette rencontre... Je ne vous demande
pas de comprendre mes associations d'idées, les liens
que mon esprit sécrète entre les divers éléments
de l'univers. Pourtant, ils sont la clef pour comprendre qui
je suis...
Eilean Donan Castle, LE château de tous
mes songes, depuis des années, enfin réel.
Et finalement, j'ose le nommer...
J'aime caresser les pierres et poser mon oreille dessus pour
entendre leurs secrets.
La visite de ce château m'a ravie. Si j'ai le temps de
vous la conter, ainsi que son histoire, je le ferai.
Inverness Castle
Lors de notre séjour à Inverness,
nous avons hanté le Rocpool,
un endroit de grand confort - je regrette le bar et les cocktails
qui y étaient préparés... - où nous
avions une belle chambre. La ville n'offrit que peu d'intérêt
pour nous. Seule sa situation géographique nous décida
à nous y installer. Ceci et la présence d'un mémorial
à la mémoire de Flora MacDonald que je voulais
contempler, à défaut, cette fois-ci encore, de
me rendre sur
sa tombe à Kilmuir, sur l'île de Skye - visite
remise à notre prochain séjour en Écosse.
Flora Macdonald est la jeune femme que rencontra Bonnie Prince
Charlie, aux îles Hébrides, où il avait
trouvé refuge après la terrible bataille de Culloden,
et où elle était en visite. Elle l’aida
à s’enfuir, d’abord à l’île
de Skye, afin qu’il rejoignît d’ici la France.
Il se déguisa et prit les habits de sa femme de chambre
irlandaise répondant au nom de Betty Bourke. C’est
l’une des figures les plus légendaires et romantiques
de l’histoire d’Écosse. Une chanson immortalise
son dévouement et sa loyauté, Skye Boat Song,
écrite en 1884, par Sir Harold Boulton.
Voici donc Flora MacDonald, l'héroïne
barrienne, par excellence, dont une statue est érigée
dans la cour du Château d'Inverness !
(Je dédie ces photos à mon Amie Sophie, l'Élue,
et à Robert le magnifique, aux côtés de
qui nous avons fait, à Londres, une très émouvante
découverte qui concerne mon bien-aimé J.M. Barrie.)
Flora fut dénoncée, puis emprisonnée
à la Tour de Londres, avant de recouvrer sa liberté.
Elle finira sa vie à Skye, après d’autres
péripéties relatées dans Life of Flora
Macdonald d’Alexander MacGregor (1882).
J.
M. Barrie s’inspira de cette histoire pour écrire
un conte, mais son imagination n’a rien d’historique
et est entièrement dévouée à la
légende. On ne le lui reprochera pas. Vraisemblablement,
Flora n’était pas éprise du Prince et, évidemment,
tout ne fut pas aussi délicieusement romanesque. Mais
l'imagination de Barrie est un creuset d'or.
On peut lire avec profit, comme toujours, ce
qu’écrit à son sujet James Boswell, le biographe
du Docteur Samuel Johnson The Journal of a Tour to the Hebrides,
with Samuel Johnson (1785). Johnson dormit dans le lit
sur lequel reposa le Prince Charles Stuart et Boswell de relater
ce qui suit. « Il [Johnson] parla du Prince Charles et
demanda à Mrs Macdonald: “ QUI était avec
lui ? On nous a dit, en Angleterre, Madame, qu’une Miss
Flora Macdonald était à ses côtés
” Elle répondit: “Ils avaient raison.”
(…) »
Le songe n'est point encore brisé et
n'a pas révélé sa dernière goutte
mauve...
Culloden
Je regrette de n'avoir point été vêtue de
blanc et de bleu (au moins, un bonnet bleu agrémenté
d'une cocarde blanche, qui sont l'emblème du mélancolique
Bonnie Prince Charlie)
pour me rendre
dans ce lieu de pèlerinage très émouvant.
Qui ne connaît pas bien l'histoire de l'Écosse
et, en particulier, cette époque, ne peut saisir certains
détails, parfois subtiles, des livres de J.M. Barrie.
Ce n'est pas un hasard, par exemple, si le bleu et le blanc
sont des couleurs récurrentes dans son oeuvre...
Cette visite a été particulièrement éprouvante
pour moi. Pourtant, je ne crois pas avoir de sang écossais.
Mais qui sait ? On peut croire ce que l'on veut quand on ne
sait pas d'où l'on vient. De coeur et d'esprit, cependant,
je me sens une vieille écossaise.
Mes valises rendent l'âme : elles sont alourdies par des
livres historiques, comme ce mignon et fort utile guide destiné
à qui veut mettre ses pas dans ceux de Flora MacDonald
- à laquelle je ne me serais jamais intéressée
sans certaine histoire de J.M. Barrie... Quelle femme !