Le nain avide
En quelques lignes, présentons cette
petite pièce, en quatre scènes, que Barrie avait
écrite pour l'amusement des enfants Davies, The Greedy
Dwarf. Dix jours après sa représentation
mourrait la reine Victoria et quelques mois plus tard George
partirait chez Wilkinson (Cf.
le milieu de cette page-ci ou reportez-vous à mon
édition du Petit
oiseau blanc). La fin d'une époque. Le titre
m'évoque le nain Quilp,
[caricature de Joseph Clayton Clarke]
un odieux personnage du Magasin d'antiquités
de Dickens.
Je ne sais si mon intuition est juste, car hélas il ne
reste pas, à ma connaissance, d'exemplaires de ce texte,
très mince et en grande partie révélé
par le programme. Toutefois, grâce à l'immense
et insurpassable travail du biographe de Barrie, Denis Mackail
(qui assista à cette pièce alors
qu'il avait neuf ans sans savoir qu'il écrirait bien
des années plus tard la vie de Barrie ! Cette coïncidence
n'était-elle pas belle ?) et à celui d'Andrew
Birkin nous pouvons reconstituer l'ambiance et le contenu de
la pièce. Il s'agissait d'une pantomime, dans la plus
pure tradition victorienne. Le Noël précédent,
Barrie avait emmené George et Jack à un tel spectacle,
Les
enfants dans les bois.
L'année suivante, il décida de
faire quelque chose de plus amusant : écrire sa propre
pantomime ! Son but était de "faire se tordre de
rire tous ceux qui ont quatre ans"comme il l'écrit
à l'un de ses compagnons de cricket... Et si le terme
"moral" apparaît dans le programme, c'est une
petite pique destinée à la gouvernante des enfants
Davies, Mary Hodgson. On trouvera écho de ceci, encore
une fois, dans Le Petit Oiseau blanc. Cette gouvernante
se disputait avec Barrie l'affection des enfants et était
outrée par le comportement de l'auteur, qui aimait tant
les histoires...
La pièce fut donnée dans sa salle
d'étude.
Ah que j'aurais aimé assisté à cela ! Il
y eut une seule et unique représentation. Les spectateurs
furent tous invités ; c'étaient des enfants. Cette
représentation eut lieu le 7 janvier 1901, l'après-midi.
Ce ne sera pas la première pièce privée
que donnera Barrie, coutumier du fait.
Les costumes étaient dans le style des
illustrations de Kate Greenaway (j'ai parlé d'elle ici
en un mot). Tous les acteurs, à l'exception de Gerald
du Maurier, avaient plus de trente ans ; Barrie lui-même
allait vers ses quarante-et-un ans.
En lisant le programme, on apprend que Miss (!) Sylvia du Maurier
a été ramenée en hansom cab de l'année
1892 (!) afin de jouer le garçon à cheval sur
les principes" ! Barrie, quant à lui, jouait le
rôle du vilain garçon de l'école. Il portait
une perruque. Il effrayait les enfants avec son déguisement
en faisant peut-être un peu son Capitaine Crochet pour
l'occasion... Son morceau d'anthologie était la scène
où, afin de se battre, il enlevait les douze (vous avez
bien lu !) manteaux qu'il portait sur lui. Gerald du Maurier
(le fameux nain ! Il interpréta alors son premier rôle
dans une pièce de Barrie.) de son côté,
se servait de ses mains à la place de ses pieds, tandis
qu'un autre acteur lui prêtait ses menottes. Madame Barrie
jouait le rôle de la Brave Petite Fille, elle se tira
de tous les dangers qui la menaçait, mais finit par se
déguiser en fauteuil, recouverte d'une couverture...
Porthos, le saint-bernard bien connu, joua aussi son rôle
à la perfection, qui consistait à manger un biscuit
et à boire du lait.
Grâce à Andrew Birkin et à
ses trente ans (est-ce aussi un peu de mon destin de tisser
ma vie avec celle de Barrie, de repriser son ombre ? Si tel
est le cas, j'y consens de tout coeur, ce rôle me plairait
assez) de passion pour Barrie et la famille Davies, grâce
à son oeuvre, nous avons moyen de lire le programme de
la pièce, d'en apprécier l'humour, d'être
touchés par tant d'amour de la part d'un poète
qui s'adresse à l'enfance, et émerveillés
par ce pouvoir que, finalement, nous possédons tous d'enchanter
la vie des autres. Oui, chacun d'entre nous, et sans limite,
que nous soyons doués ou non.
Le programme de la pièce présente
un dessin assez proche d'une photo de Peter Davies, que j'ai
jointe également dans cette présentation. L'auteur
est nommé "Peter Perkin" ! La photo le montre
plus jeune qu'il ne l'était en 1901.
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