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1. Barrie et Stevenson
Les deux hommes ne se sont jamais rencontrés,
car Stevenson est mort avant.
- Lettre à James Matthew Barrie, Vailima, Samoa, février
1892,
Cher Monsieur Barrie,
C’est au moins la troisième lettre
que je vous écris, mais ma correspondance a la fâcheuse
tendance à ne pas atteindre le bureau de poste. Ma part
d’humanité s’évanouit face au labeur
requis par la rédaction d’une adresse sur une enveloppe,
mais j’espère avoir plus de chance avec celle-ci.
En effet, au-delà de l’usuel et fréquent
besoin de vous remercier pour votre œuvre, vous êtes
l’un des quatre coins contre lesquels je me cogne depuis
que j’ai mon propre coin à regarder, et il n’y
a aucune raison – à moins que ce ne soit les mystérieux
flux et reflux de la marée, qui font et gâchent
et tuent le travail des pauvres écrivaillons –
pour que vous ne soyez pas un artiste de premier ordre. Les
marées ont emporté ma phrase, mais de toute façon
j’en étais las... Et, comme nous sommes entre écrivains,
je m’autorise la liberté de la laisser en souffrance.
De plus, nous sommes tous les deux Écossais et je nous
soupçonne de l’être beaucoup. Le fait que,
moi-même, je sois Écossais me conduit à
l’intermittence, mais parfois cela mène à
l’érysipèle - si ce mot doit être
correctement épelé. Récemment, j’ai
réalisé que nous avions fait tous les deux notre
apprentissage dans la cité des vents [Londres], notre
virgilienne cité grise, et je tiens cela pour un autre
lien entre nous. Aucun lieu ne marque à ce point un homme.
Finalement, je me sens comme un devoir de vous faire part de
mes progrès. Il se peut que je fasse erreur mais je crois
avoir reconnu votre tour de main dans un article [lequel ?]
– il s’agit peut-être d’une illusion,
c’est peut-être l'un des ces diligents insectes
qui attrapent et reproduisent le tour de main de chaque homme
de lettre naissant, mais je persévère à
espérer que c’était votre travail. Je me
plais à croire que cela vous fera plaisir d’apprendre
que la suite de mon roman, Enlevé ! [Catriona],
est en cours. Je n’en suis pas encore arrivé à
parler d’Alan [un des personnages d'Enlevé
!] - ainsi je ne sais pas s’il est encore en vie
- mais David [personnage principal dudit roman] semble avoir
plus d’un tour dans son sac. J’étais content
de constater que la théorie anglo-saxonne s’est
fourvoyée. J’ai donné à mon jeune
homme des Basses-Terres un nom gaélique [relatif au nord
de l'Ecosse, les Hautes Terres ou Highlands], et j’ai
même fait des commentaires à ce sujet dans le texte.
Pourtant, la plupart des critiques ont reconnu en Alan et David
un Saxon et un Celte. Je ne sais pas ce qu'il en est en Angleterre,
mais en Écosse, au moins, où le gaélique
est parlé à Fife depuis un peu plus d’un
siècle et depuis guère plus longtemps à
Galloway, je réfute le fait qu’il existe une chose
telle qu’un pure Saxon et je pense qu’il est plus
que discutable qu’il existe un pur Celte. Mais qu’avons-nous
à faire de tout cela ? Et qu’en ai-je à
faire ? Continuons à graver nos bouts d’histoires
et laissons aux barbares leur fureur !
Bien à vous,
Avec mon sincère intérêt quant à
votre carrière,
Robert Louis Stevenson
Cher J.M. Barrie,
Bientôt vous en aurez assez de moi. Je n’y peux
rien. J’ai cessé de travailler depuis quelques
temps et j’ai relu The Edinburgh eleven [livre
à sketches de Barrie]
et j’ai dans l’idée d’écrire
une parodie, j'ai le grand désir de vous rendre la monnaie
de votre pièce et d’imiter votre toupet [Barrie
fait référence dans ce livre à Stevenson]
afin de voir comment vous l’apprécierez vous-même.
Et alors, j’ai lu (pour la première fois, je ne
sais pas comment cela se fait !) A Window in Thrums
[livre de Barrie, scènes de la vie de son lieu de naissance].
Je ne dis pas que que le livre est meilleur que The
Minister [pièce, puis roman de Barrie] : cette
fois, il s’agit pas vraiment d’un conte –
et il y a de la beauté, une beauté matérielle
inhérente au conte IPSE, que les critiques intelligents
de nos jours et depuis longtemps aiment à oublier. Certes,
il y a plus de défauts avérés ; quoi qu’il
en soit, je l’ai lu dernièrement et c’est
écrit par Barrie ! Et il est l’homme de la situation
– à mon avis ! La chapitre intitulé «
Le Gant » est une grande page : c’est étonnamment
original et aussi vrai que la mort et le jugement dernier. Tibbie
Birse [personnage du Petit Ministre] dans le passage
consacré à l’enterrement est immense ! (...)
Je suis fier de penser que vous êtes Écossais,
bien que, soyez-en assuré, je ne sais rien de ce pays,
étant un simple touriste anglais, pour citer Gavin Ogilvy
[un pseudonyme de Barrie, mais également un de ses personnages].
Je recommande le difficile cas de M. Gavin Ogilvy aux bons soins
de J.M. Barrie, dont l’œuvre est pour moi une source
vive de plaisir et de sincère fierté nationale.
(...) Et, s’il vous plaît, ne pensez pas, lorsque
je semble me comparer à vous, que je sois totalement
aveuglé par la vanité. Jess [un des personnages
de Barrie in Auld Licht Idylls] marque les limites
que je ne saurais franchir : je ne puis même effleurer
sa jupe. Ma plume ne recèle pas une telle séduction
crépusculaire. Je suis un artiste compétent, mais
j’ai l’impression de commencer à voir en
vous un homme de génie. Prenez soin de vous, pour mon
propre salut. C’est une chose diablement difficile pour
un homme qui écrit tant de romans que moi d’en
avoir aussi peu à lire. Et je peux lire les vôtres
et je les aime.
Dommage pour vous que ma copiste [Fanny, sa femme] ne soit pas
là aujourd’hui et ma propre main est sensiblement
pire que la vôtre.
Bien à vous,
Robert Louis Stevenson
Le 5 décembre 1892,
P.S. : On me dit que votre santé n’est pas robuste.
Venez ici et essayez la Chambre du Prophète ! Vous n'y
trouverez qu'un seul inconvénient : nous nous levons
tôt. La copiste dit que vous êtes un amoureux du
silence – et que notre maison est bruyante et qu’elle-même
est un moulin à paroles – je ne suis pas responsable
de ces assertions, bien que je pense fermement qu’il y
ait une touche de loquacité dans mes appartements. Nous
avons si peu de choses à discuter, voyez-vous ! La maison
est éloignée de trois miles de la ville, située
au milieu de grandes forêts silencieuses. Il y a un ruisseau
non loin de là. Et quand on ne parle pas, on entend le
ruisseau, et les oiseaux, et la mer qui vient se briser sur
les côtes, trois miles au loin et six cent pieds au-dessous
de nous. Et trois fois par mois on entend le tintement d'une
cloche. Je ne sais pas où se situe cette cloche ni qui
la fait sonner. Il se peut qu’il s’agisse de la
cloche du conte d’Andersen. Il ne fait jamais chaud ici.
Nous ne dépassons pas les 86 degrés à l’ombre
[fahrenheit, à savoir 30 degrés celcius]. Et il
ne fait jamais froid, sauf au petit matin. Tenez-le vous pour
dit. Je pense que ce climat est le plus sain au monde : même
la grippe perd entièrement son piquant. Seulement deux
malades en sont morts : et l’un d’entre eux avait
dans les quatre-vingts ans et l’autre était un
enfant qui avait moins de quatre mois. Je ne vous dirai pas
que c’est beau car je veux que vous veniez ici le constater
de visu. Tout le monde, hormis ma femme, a du sang écossais
dans mon domaine et – je vous demande pardon – les
indigènes font également exception. Ma femme est
néerlandaise.
(...)
R.L.S.
Venez, cela ouvrira votre esprit et cela me fera du bien.
2. Lettres à des enfants
Cf. cette rubrique.
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