Ce roman est inédit en
France. Il fut disponible en version française, le 28 septembre 2006, aux éditions Terre de Brume (*). Il a été republié, en 2013, dans une édition revue et augmentée de textes inédits de Barrie.
En vente en librairie,
dans les magasins en ligne
et
sur le site de l'éditeur.
Le Petit Oiseau est une féerie métaphyique !
Un seul fragment de ce récit, les cinq
chapitres centraux consacrés à Peter Pan, a été
publié, il y a quelques années, sous le titre Peter
Pan dans les Jardins de Kensington. La démarche
n'est pas tout à fait illégitime, si l'on considère
que Barrie lui-même les édita sous cette forme. Toutefois,
cela sous-entendrait que Peter Pan est l'amande de ce roman et
que le reste (21 chapitres) n'est que coquille. Rien de plus faux.
Ces deux fragments sont construits en raison, sinon en regard,
l'un de l'autre. L'ensemble, une coquille d'oeuf brisée
en mille éclats, cache un secret, un post-scriptum que
le lecteur devra déchiffrer.
Le Petit Oiseau blanc est un roman sulfureux. Mais la
provocation n'est pas là où cet adjectif semble
conduire. Il convient de le lire pour comprendre à quel
point il faut de l'audace à un homme pour vivre, non pas
dans l'imaginaire, mais dans la réalité qui se plie,
soudain, au bon plaisir d'une fantaisie intime et parfois douloureuse.
Lire ce roman revient à surprendre une conversation, c'est
un acte d'impudeur. On le décachette ; il s'agit
d'une lettre qui ne nous est pas adressée en propre mais
qui parle peut-être de nous. Barrie publie dans ce roman
tous ses chagrins et ses fantasmes d'homme dans un corps d'enfant,
toutes ses joies et ses espérances d'enfant dans une fausse
peau d'adulte. Le Petit Oiseau blanc est à la
fois l'enfant que la nature lui refuse, le livre que nous lisons
et celui qu'écrit le narrateur, et finalement le double
d'un enfant bien réel, George Llewelyn Davies (nommé
David dans le texte).
Barrie, petit (il était dans la moyenne de l'époque,
contrairement à ce que j'ai longtemps cru)
homme d'un mètre soixante et un, ouvre ici les portes
d'un royaume vieux et neuf, qui sera mis en images par l'un
des plus grands, Arthur Rackham. Les Jardins de Kensington,
où trône aujourd'hui la statue de Frampton et où
l'on peut tourner six fois autour du puits de Saint Govor (1)
afin d'en déchiffrer le message, sont
le cadre d'un monde de féerie - mais après la terrible
Heure de la Fermeture uniquement ! Peter Pan, âgé
de sept jours, va s'y envoler et y demeurer éternellement,
vivant en bonne harmonie avec les fées et les oiseaux des
lieux. Le roman déchire une percée derrière
les apparences du sens commun. Nous allons vivre quelques jours
dans ces Jardins
, qui sont l'ébauche grossière de Never Never Never Land (bien différent, en vérité). On
y apercevra même le premier reflet du capitaine Crochet
!
Ce roman est l'un des plus étranges de l'auteur et l'un
des plus ambigus de la littérature anglo-saxonne. Il est
très difficile de le comparer ou de le confronter à
d'autres du même genre, car il est un genre à lui
seul, ce qui est le propre d'une grande oeuvre. Certes, il s'inscrit
dans le prolongement des grands romans victoriens ou post-victoriens,
tels ceux de Lewis Carroll, Kenneth Grahame ou A. A. Milne. Pourtant,
il est difficile de l'affilier tout à fait à ses
derniers tant il est singulier. Attention ! Il serait fautif de
croire qu'il s'agit d'un livre "pour les enfants". Si par "enfant" on entend
un petit être déficient en raison et en expérience,
comparé à ses aînés, à ses parents.
Ce roman est celui d'un homme adulte, en proie à des tourments
existentiels, sentimentaux, qui vit dans un demi-rêve éveillé
et qui se console de ses impuissances. Il n'y a aucune ligne de
démarcation entre la vie réelle et le roman, entre
le monde de l'imagination et le quotidien. Barrie écrit
en pointillé et tâche de ne pas sombrer entre les
espaces qui séparent les tirets. Au lecteur d'en faire
autant !
Le Petit Oiseau blanc est un coffret magnifique qui contient
un joyau tout aussi resplendissant. Il s'agit, en vérité,
de deux romans enchâssés : l'histoire
d'un célibataire endurci, le Capitaine W—, fracturée
en son centre par un autre récit : la naissance de Peter
Pan! Hé oui ! Le Peter Pan de la pièce et du roman,
tous deux appréciés du public, n'est pas le véritable
Peter Pan. Ou, tout au moins, pas le seul.
Qui le sait encore de nos jours ?
Le narrateur "anonymement révélé", le Capitaine
W—, emmène un petit garçon nommé David pour
un voyage imaginaire dans le passé. Ce petit garçon
n'est pas le sien, mais l'un et l'autre font souvent comme si
c'était le cas. Mary A— est la mère de cet enfant.
Elle n'a jamais rencontré réellement le Capitaine
W— Pourtant, ce dernier est clandestinement l'artisan de son bonheur.
Le narrateur aime cette femme à distance, platoniquement
mais avec une effronterie certaine, et endosse le rôle d'ange
gardien. Finiront-ils par se rencontrer ? Se parleront-ils ? Le
roman s'avance ainsi vers nous, empruntant des chemins de traverse, et ce, dès la première
ligne. Comment ne pas atteindre, à grands pas, le vingt-sixième
chapitre, constitué d'une dédicace, pour avoir le
fin mot d'une histoire, qui est aussi la confession d'une âme
triste et pure, celle de l'auteur ?
Ce roman est multiple. Un ensemble de saynètes et d'incises
qui ont pour but de faire perdre le fil au lecteur - afin de mieux
le retrouver. Certains événements, décrits
dans le texte, ont-ils réellement eu lieu dans l'histoire
? Quelle est, au sein de l'histoire elle-même, la part de
réalité et la part d'imaginaire ? L'ironie barrienne
prend ici, comme souvent, la forme d'une antipathie de surface
de la part du narrateur envers les autres. Cette forme feinte
de misanthropie dissimule un sentimentalisme qui n'a rien de douceâtre.
La guimauve est amère. Rien à voir avec cette
vision biaisée et fausse donnée par le mauvais film
de Marc Forster, avec dans le rôle principal un Johnny Depp
qui n'a rien du véritable Barrie, et qui est récemment
sorti sur nos écrans sous le titre trompeur de
Finding Neverland.
Pour trouver le pays de l'imaginaire, il suffit
de lire Le Petit Oiseau blanc, qui est à la fois
la matrice de Peter Pan et des oeuvres suivantes, mais également
le récit, parfois à peine transposé, de la vie de Sir
James Matthew Barrie et de ses relations avec les enfants Llewelyn
Davies. Lequel des deux romans préférez-vous ? L'histoire
du petit Peter Pan, qui traverse la
Serpentine à bord d'un Nid de Grives, ou bien le chagrin
d'amour du Capitaine W— ? Mais peut-être que la véritable
question est de savoir ce que cache l'histoire de Peter Pan installée
au beau milieu de la première histoire.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Lorsque j'ai traduit ce livre, j'ai pensé
très fort à mon grand ami, David B., qui est l'une
des rares personnes en ce monde à qui je dois quelque chose
de véritablement important. Lorsque je l'ai rencontré,
j'étais une affreuse apprentie philosophe, qui n'aimait
rien tant que la rationalité. Il m'a ouvert le chemin du
merveilleux. Sans lui, je n'aurais peut-être pas rencontré
Barrie. Ce fut alors à mon tour de lui présenter
quelqu'un d'exceptionnel.
Aujourd'hui, avec son autorisation, je recopie
ici deux fragments qu'il m'a écrits, découpés
dans plusieurs lettres au sujet du Petit Oiseau blanc,
parce que ce qu'il en dit me touche et parce qu'aucun critique
littéraire ne saurait dire mieux que lui la quintessence
de ce roman atypique.
"La lecture
du Petit Oiseau blanc est une expérience étrange
pour moi. Le fait de savoir que vous l'avez traduit et que vous
l'adorez me gêne un peu pour me l'approprier pleinement,
pour être objectif. Malgré cela, je crois pouvoir
vous dire que ce livre est une merveille de finesse et de poésie.
C'est un livre qui ne pouvait se dérouler qu'à cette
époque et en ce lieu et n'être écrit que par
un vrai gentleman. Vous évoquiez la cruauté de Barrie.
Comme vous aviez raison ! Comme elle est nécessaire à
faire ressortir la subtilité et la délicatesse des
émotions. Je me suis accoutumé à cette poésie
et ne ressens plus le décalage qui m'avait fait trouver
ce livre exotique (bien que le chapitre de la naissance de David
soit perturbant et que l'auteur aime à se montrer sibyllin
dans ses intentions). La description de l'amour perdu de Monsieur
Anon est l'une des plus belles pages d'amour que j'aie eu l'occasion
de lire. Barrie déploie une imagerie d'une richesse qui
semble infinie et d'un raffinement qui ne fait que rendre la perte
de l'amour plus poignante. Car ce bouquin ne parle que de ça
: d'amour et de regret. L'amour envers les enfants, ceux qu'on
désire ou ce que l'on a, la passion envers l'être
que l'on convoite, que l'on aime et que l'on perd.
(...)
Mais vous
n'êtes pas innocente à ce mal qui m'étreint
merveilleusement. Votre Petit Oiseau blanc fait des ravages
dans mon imagination. Il s'y est installé durablement et
recouvre tout de ses plumes blanches. Le retour de Peter Pan auprès
de sa mère était bouleversant. J'ai enfin pleinement
compris la beauté tragique du personnage. Je me suis désormais
pleinement approprié ce livre. J'aime à m'y plonger,
à m'y oublier. On en ressort non pas triste de retrouver
la réalité mais recouvert de cette poussière
de fée qui nous fait voir le monde plus beau que d'habitude.
Merci pour cela. Ce livre m'oblige à regarder ce que j'aime
d'un oeil nouveau. (...) Je comprends désormais pourquoi
vous avez pensé à moi en traduisant ce livre. Il
a totalement sa place dans mon univers. Barrie partage mon intimité,
car c'est de cela qu'il s'agit. Quand il nous parle, il sait trouver
l'enfant en nous, ce qu'il nous raconte touche la partie la plus
personnelle de notre âme. Celle que l'on croyait partie
avec tous ces petits fantômes qui voltigent autour de nous
à l'automne, le souvenir de nos ailes qui n'ornent plus
nos épaules parce qu'on a douté d'elles. C'est triste
de grandir, de tuer tous ces merveilleux rêves. Alors, oui,
que vivent les morts !"
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
(1) Le puits n'était pas le même à l'époque
de Barrie.
Le révérend W.J. Loftie (1839 – 1911) écrit
ce qui suit dans son Kensington pittoresque et historique,
page 24 (de la première édition, en 1888) :
« Il y a eu dernièrement des controverses au sujet
des puits dans les Jardins de Kensington. L’un d’entre
eux se trouve sur le petit chemin qui descend du Bassin Rond vers
le Bois Noir du Bassin ; il est asséché quand le
Bassin est récuré. Il est nommé Puits de
Saint Govor. Son eau ne mérite pas la réputation
de pureté qu’elle a acquise, car elle est souvent
souillée par des matières organiques. Saint Govor
est le saint patron de l’église de Llanover. Sir
Benjamin Hall fut le premier membre de la commission de travaux
publics, lorsque, en 1856, le nom fut apposé sur le puits
; il était le propriétaire de la paroisse, qui est
située dans le Monmouthshire.»
Si l’on se réfère au
Menologium [calendrier des saints] de l’Angleterre
et du Pays de Galles de Stanton, on peut trouver page 704
ceci : « Gower, Patron de Llangower, Merioneth ».
Il s’agit d’un catalogue des saints gallois auxquels
les Eglises sont dédiées ou dont les noms apparaissent
dans l’Ancien Calendrier. Si Govor et Gower sont des variantes
du même nom, il est très difficile de l’affirmer.
En tout cas, le nom gravé sur la pierre du puits est Govor
et non Gover.
On peut trouver deux esquisses du puits dans
le livre de Loftie, dont l’une réalisée par
Miss
Thackeray.
Le message actuel gravé sur ce puits est
le suivant :
"This drinking fountain
marks the site of an ancient spring, which in 1856 was named St
Govor's Well by the First Commissioner of Works later to become
Lord Llanover. Saint Govor, a sixth century hermit, was the patron
saint of a church in Llanover which had eight wells in its churchyard."
(Merci à
Robert Greenham, qui m'a offert cette information !)
--------------
Paroles de lecteurs :
- Wictoria
;
- Lily.
-----------------
Interview du traducteur
ici ou là.
------------------------------
Article paru dans le numéro 29 de
La Revue littéraire : ici.
(*) [Certaines
coquilles se sont logées dans le texte, elles seront corrigées
lors d'un éventuel retirage ; elles sont le fait de la
négligence d'un employé de l'éditeur ; je
n'en suis aucunement responsable, ayant apporté le plus
grand soin à la correction de mes épreuves... Malheureusement, certaines de mes corrections n'ont pas été reportées
sur le texte envoyé à l'imprimeur ! Je suis la première
victime de cette disgrâce typographique.]
|