«Oh,
j'ai vu Barrie - Sir James Matthew Barrie. Il vieillit et se prend
très au sérieux. Il a critiqué mon film,
The kid, affirmant que toute la partie céleste
était absurde, ridicule et sans intérêt. L'auteur
de Peter Pan, ajouta Chaplin avec des yeux ronds, l'inventeur
du crocodile avec une pendule dans son ventre, semble penser que
la scène qui se passe au Paradis est absurde et, par conséquent,
sans intérêt comme si les deux mots étaient
synonymes !»
Chaplin, d'après l'essai de
Frank Harris (dans la quatrième fournée de ses
Contemporary Portraits)
Autre
son de cloche, plus tempéré : « Les
invités se séparèrent assez tôt, et
Eddie Knoblock me murmura à l'oreille que Sir James Matthew
Barrie souhaitait nous inviter dans son
appartement d'Adelphi Terrace pour prendre une tasse de thé.
L'appartement de Barrie était comme un atelier, une grande
pièce avec une magnifique vue sur la Tamise. Au milieu
de la pièce se trouvait un poêle rond avec un tuyau
qui montait jusqu'au plafond. Barrie nous conduisit à une
fenêtre qui donnait sur une ruelle étroite avec une
fenêtre juste en face.
- C'est la chambre à coucher de Shaw, dit-il d'un ton malicieux
avec son accent écossais. Quand je vois de la lumière,
je lance des noyaux de cerises ou des noyaux de prunes sur les
carreaux. S'il veut bavarder, il ouvre et nous commérons
un peu, et non, il ne bronche pas ou bien il éteint. Généralement,
je lance à peu près trois noyaux, puis je renonce.
La Paramount s'apprêtait à tourner Peter Pan à
Hollywood. [Cf. cette
page]
- Peter Pan, dis-je à Barrie, a même plus
de possibilités en tant que film qu'en tant que pièce
- et il était de mon avis.
Il tenait tout particulièrement à une scène
montrant Wendy balayant des fées dans l'écorce d'un
arbre. Barrie me dit également ce soir-là :
- Pourquoi avez-vous intercalé une séquence de rêve
dans The Kid ? Cela interrompt le cours du récit.
- Parce que j'étais influencé par A
kiss for Cinderella [ Un baiser pour Cendrillon
], répondis-je franchement. »
Charles Chaplin, Histoire de ma vie,
Robert Laffont, Paris, 1993, pp. 271-272 (traduction de Jean Rosenthal).
Cf. une
bande-dessinée de Carin et Rivière, qui illustre
cette rencontre !
Lisa
Chaney, dans son excellente biographie (malgré quelques
erreurs notables), rapporte les propos de Pamela Maude, dont le
père avait été acteur dans les meilleures
pièces de Barrie :
« Il était différent de ceux
que nous avions déjà rencontrés et de ceux
que nous rencontrerions. (...) il nous parlait des fées
comme s'il savait tout à leur sujet. Il était pétri
de silences, mais nous ne trouvions pas ces silences étranges
: ils faisaient partie de lui (...) Madame Barrie était
adorable (...) mais nous ne sentions pas à l'aise avec
elle. Elle ne nous parlait pas et ne souriait jamais, lorsque
nous étions avec elle. Barrie ne parlait pas et ne souriait
pas et, pourtant, il était notre compagnon. Quand nous
étions loin de lui, il semblait être avec nous. Il
était plus présent que nos parents ou madame Barrie,
qui étaient à côté de nous. Le soir
(...) monsieur Barrie nous tendait à chacun d'entre nous,
dans le silence, la main. Et nous glissions notre main dans la
sienne, puis nous marchions, toujours en silence, en direction
du bois de hêtres. Nous marchions à pas feutrés,
à travers les feuilles et nous écoutions (...) des
bruits soudains produits par les oiseaux et les lapins. Un
soir, nous vîmes une cosse de pois qui reposait dans le
trou d'un grand tronc d'arbre. Nous l'apportâmes à
monsieur Barrie. Il y a avait à l'intérieur de la
cosse une petite lettre pliée, qu'une fée avait
écrite. Monsieur Barrie dit qu'il pouvait lire l'écriture
des fées et il nous la lut. Nous en reçûmes
plusieurs autres dans des cosses de pois avant la fin de notre
séjour. »
Dans
les Entretiens Hitchcock / Truffaut, Gallimard, Paris,
2000, pp. 262-263, on peut lire ce qui suit :
« A. H. : Le second projet,
celui-là, je ne l'ai pas définitivement abandonné,
est Mary
Rose qui ressemble un peu à une histoire
de science-fiction. Il y a quelques années, on aurait pensé
que cette histoire était trop irrationnelle pour le public,
mais depuis, certaines émissions de télévision
ont familiarisé les gens avec ce genre de récits.
La pièce commence avec l'arrivée d'un jeune soldat
dans une maison vide ; il trouve là une gouvernante, tous
deux parlent du passé et le soldat lui dit qu'il est un
membre de la famille qui vivait là. A ce moment commence
un flash-back qui nous ramène trente ans en arrière.
Nous voyons une famille dans sa vie quotidienne et un jeune lieutenant
de marine qui est venu demander aux parents la main de leur fille
Mary Rose.
A un certain moment, le père et la mère se jettent
des regards et lorsque Mary Rose s'absente de la pièce,
ils racontent au jeune homme : "Lorsque Mary Rose avait dix
ans, nous sommes allés passer nos vacances sur une île
en Ecosse et là elle a disparu pendant quatre jours. Quand
elle est revenue, elle n'avait absolument pas conscience d'avoir
disparu, elle n'avait senti aucun passage du temps." Les
parents ajoutent : "Nous ne lui en avons jamais parlé
et vous pouvez l'épouser mais ne faites aucune allusion
à cela." Maintenant il s'est écoulé
quatre années et Mary Rose qui a un enfant de deux ans
et demi dit à son mari : "Je voudrais que nous partions
enfin en lune de miel, j'aimerais retourner sur l'île où
je suis allée quand j'étais petite." Le mari
est dans tous ses états mais accepte. Le deuxième
acte se déroule sur l'île ; un jeune batelier, étudiant
à l'université d'Aberdeen pour devenir prêtre,
pilote le jeune couple et les entretient du folklore local ; il
mentionne que jadis, dans cette île, un petit garçon
a disparu et une autre fois une petite fille pendant quatre jours.
Au cours de cette partie de pêche, pendant que le batelier
montre au mari comment on fait cuire les truites sur les rochers,
Mary Rose entend brusquement des voix célestes qui s'élèvent
comme dans les Sirènes de Debussy ; elle se déplace
sur les rochers, le vent souffle et bientôt elle a disparu.
C'est le silence, le vent s'arrête, le mari commence à
chercher Mary Rose partout, il a peur, il l'appelle, elle a disparu
et c'est la fin du deuxième acte.
Le dernier acte nous ramène dans la famille, vingt-cinq
ans plus tard. Mary Rose est oubliée, les parents sont
très vieux et le mari lui-même a un gros ventre.
Le téléphone sonne. C'est l'ancien batelier devenu
prêtre, qui vient de découvrir Mary Rose sur l'île,
inchangée. Elle revient dans sa famille cruellement déconcertée
de les trouver si vieux et, quand elle demande à voir son
fils, on lui dit : "Il s'est enfui pour devenir matelot quand
il avait seize ans." Le choc de cette nouvelle provoque une
attaque cardiaque qui la tue.
Puis nous revenons au présent avec le soldat dans la maison
vide. Mary Rose apparaît à travers la porte comme
un fantôme. Ils ont un entretien tous les deux, ma foi très
naturel, et la scène devient assez pathétique. Elle
dit qu'elle attend depuis longtemps, il lui demande : "Qu'attendez-vous
?" et elle répond : "Je ne sais pas, j'ai oublié."
Il la prend sur ses genoux - dans la pièce de théâtre
évidemment - elle se lève, se détourne et
voilà qu'on entend à nouveau des "voix"
à travers les portes-fenêtres. On distingue une puissante
lumière en direction de laquelle Mary Rose s'en va et disparaît.
F. T. : Ce n'est pas mal du tout.
A.H. : Vous devriez en faire un film, c'est mieux pour vous, car
ce n'est pas vraiment un "Hitchcock". Ce qui me gêne
un peu, c'est le fantôme. Si je faisais le film, j'habillerais
la fille avec une robe grise à l'intérieur de l'ourlet
je placerais une lumière en néon de sorte que cette
lueur ne se reflète que sur l'héroïne. Quand
elle se déplacerait, sa silhouette n'occasionnerait aucune
ombre sur les murs mais uniquement une lumière bleue.
Il faudrait donner l'impression qu'on filme, non un corps, mais
une présence, aussi elle apparaîtrait quelquefois
très petite dans l'image et parfois très grande
et plutôt comme une «sensation» que comme un
"bloc solide" ; on perdrait ainsi le sentiment de l'espace
et du temps réels, on se sentirait en présence de
quelque chose d'éphémère.
F.T. : C'est un sujet très joli et très triste.
A.H. : Oui, très triste parce que derrière tout
cela il y a cette idée exposée flegmatiquement :
si les morts revenaient, on ne saurait absolument pas quoi faire
d’eux !» (Hitchcock / Truffaut, Ed. Gallimard,
Paris, 2000, pp. 262-263)
«
Le plus timide et le plus impudent des artistes. Par impudence,
j'entends une sorte d'impossibilité, une soudaine raideur
dans une histoire qui serpente à travers d'étranges
contrées dont je ne connais aucun équivalent et
qu'il m'est difficile de décrire. Il y a une malignité
de l'imagination qui se rebiffe contre la fantaisie elle-même,
une rébellion au royaume des fées. Chez Barrie,
l'imagination travaille d'une façon imprévisible,
même si l'on s'attend à l'inattendu."
G.K. Chesterton in The
bookman.
A
study in fairies and mortals par Patrick Braybrooke
« Les personnages de Barrie sont-ils réels ? (…)
On perd souvent de vue que le monde féerique est peut-être
le plus réel de tous les mondes, parce qu’il se soucie
de l’aspect réel de la nature humaine, le point de
vue qui nous relie à l’enfance, la part en nous qui
croit aux fées. (…) A travers ses écrits,
Barrie semble avoir une manière de regarder l’humanité
comme si la nature double de cette dernière lui était
toujours visible. Il donne l’impression de regarder l’homme
ou la femme tels qu’ils se donneraient à voir si
nous les rencontrions dans la rue et, en même temps, il
semble regarder dans leur âme. »
« Les fées de Barrie sont le moyen
d’exprimer ce que tant ressentent et si peu sont capables
d’exprimer : le miracle de la maternité, la réalité
du refus de grandir ; ce sont les pensées de Barrie peintes
sous une forme concrète. Aussi longtemps que ces êtres
féeriques sont souci des idéaux, qui semblent être
la possession de l’humanité en général,
ils peuvent être dits réels, car la part réelle
de l’humanité n’est pas ce qui est nécessairement
visible, mais cette part qui est enterrée profondément
sous la surface même. »
« Nous en sommes arrivés à
la conclusion que les personnages de Barrie sont réels,
bien qu’il faille admettre que ce mot « réel
» doive subir une extension considérable à
partir du sens populaire qu’il recouvre. Mais Barrie enseigne,
peut-être plus que n’importe quel dramaturge, l’extraordinaire
complexité de la nature humaine, le fait merveilleux que
l’humanité n’est pas seulement humaine mais
également surhumaine. Dans les rues bondées, dans
les chemins tranquilles, dans les vastes étendues du monde,
nous rencontrons des Peter
Pan incarnés dans des personnes ordinaires. Ces gens
détachés du monde réel n’ont jamais
vraiment perdu leur enfance et ne s’autorisent jamais à
être durs ou cyniques. Les personnages de Barrie, loin d’être
irréels, sont par hasard surnaturels. Et, si nous sommes
réellement immortels, alors cette part de nous-mêmes
qui est surnaturelle est la part la plus réelle de nous-mêmes.
»
« Des hauteurs solitaires, Barrie regarde
en bas le monde qui s’étend. Il voit l’humanité
qui se débat, ici et là. Au loin, il voit les royaumes
des immortels ; il comprend à quel point les pauvres humains
que nous sommes se battent pour cette contrée, bien que
nous feignons le contraire. Barrie écrit d’abondance
sur l’aspiration mystique de l’homme, sur l’homme,
non pas en tant que masse de chair, mais en tant qu’expression
extérieure de l’âme intime (…) »
«
Je pense qu’Alice est un rôle épouvantable
; je suis plus que jamais décidé à montrer
aux gens quelque chose de plus noble en vous que ceci. J’aime
Barrie et son œuvre, mais un jour un démon sous les
traits d’Alice s’assoira près du feu en enfer
et attisera les flammes dans lesquelles il est en train de se
consumer. » G.B. Shaw, ce vieux gredin,
à Ellen Terry, actrice barrienne, dans leur correspondance.
Il fait référence à la pièce de Barrie
Alice
Sit-By-The-Fire.
«
Il n’y a pas deux hommes plus dissemblables que M.
Dodgson et M. Barrie ; pourtant, il y a plus de points communs
entre eux qu’on ne le pense.
Si Alice au pays des merveilles est le classique de la
littérature enfantine dans les bibliothèques, et
l’un de ceux qui est peut-être davantage aimé
par les enfants adultes que par les autres, Peter Pan
est le classique enfantin des scènes théâtrales
et, là encore, les enfants les plus vieux sont les admirateurs
les plus fervents. Je suis une très vieille enfant, presque
assez âgée pour être une "belle arrière-grand-mère
" (un rôle que j’ai supplié M. Barrie
d’écrire pour moi) et je vais voir Peter, année
après année, et l’aime davantage à
chaque fois. Il y a un avantage à être un enfant
adulte : vous n’avez plus peur des pirates ou du crocodile.»
(Ellen Terry, The Story of My Life) [Cf.
mon billet ici.]
Je
devins une amoureuse passionnée de Monsieur Barrie à
travers Sentimental Tommy
et je lui écrivis sans ambages pour lui dire l'immense
plaisir que j'avais pris à sa lecture. En guise de réponse,
je reçus une lettre de Tommy en personne !
« Chère Mademoiselle Ellen Terry,
Vous m'étonnez, tout simplement. J'ai remarqué que
M. Barrie, l'auteur (le prétendu auteur) et sa maîtresse
femme avait en leur possession une lettre qu'ils voulaient me
celer. J'ai donc mis la main dessus et il s'est avéré
qu'elle était de vous et il n'y avait pas une ligne pour
moi dedans! Si vous aimez le livre, c'est moi que vous aimez et
non pas lui, et c'est à moi que vous devriez adresser votre
amour, et non pas à lui. Corp [N.D.T. : Corp Shiach, personnage
du roman, de trois ans plus âgé que Tommy] pense,
cependant, que vous n'aimez pas faire le premier pas et, si telle
est l'explication, je vous demande permission de joindre ici mon
amour fiévreux (ne parlez pas de ceci à Elspeth)
[N.D.T. : Elspeth, la soeur de Tommy, qui est très proche
de lui et jalouse dans le roman...] et de dire que je désire
que vous veniez jouer avec nous dans le Den (ne laissez pas entendre
à Grizel [N.D.T. : amoureuse officielle de Tommy] que je
vous ai invitée). A la minute où je vous ai vue,
je me suis dit : "Le genre que j'aime !" et, pendant
que les gens s'agitaient autour de moi, je pensais seulement à
votre jeu d'actrice, je me demandais quel était le meilleur
moyen pour faire de vous mon esclave consentante et je peux dire
que je crois avoir "trouvé un moyen" - et, par
le plus grand des bonheurs, ceux précisément que
je désire le plus me soumettre sont ceux qui sont le moins
capables de me résister... Nous nous amuserions follement.
Vous seriez Jean MacGregor, prisonnière dans le Queen's
Bower, mais je grimperais au péril de ma vie pour vous
sauver et vous vous évanouiriez dans mes bras solides et
Grizel ne sursauterait- elle pas quand elle viendrait vers nous,
pendant que nous nous chuchoterions de doux petits riens sur la
Promenade des Amants ? Je pense qu'il est permis de dire par écrit
que je ne les considérerais, en effet, que comme des petits
riens (parce que Grizel est réellement mienne), mais tant
qu'ils sont doux, qu'est-ce que cela peut faire (à ce moment)
; de plus, il est possible que vous m'aimiez vraiment et, négligemment,
je ferais disparaître vos larmes sous mes baisers. Corp
est un peu nerveux à ce sujet, parce qu'il dit qu'il y
en a déjà deux qui m'aiment, mais je me sens confiant
car je peux m'en sortir avec plus de deux. Je compte sur vous
pour venir au Cuttle Well, [situé dans le Den, lieu de
rendez-vous des amoureux] samedi, quand la cloche de huit heures
sonnera. Je suis "Votre bienveillant commandant",
T. Sandys.
P.S. : Pouvez-vous amener quelque armure du Lyceum avec vous,
ainsi que deux oeufs durs?» (Ellen Terry, The Story
of My Life. )
[Merci de ne point réutiliser mon travail
et mes notes. Je ne sais pas exactement à quoi pense Barrie
quand il parle de "Lyceum armor", je suppose qu'il fait
référence à un costume du théâtre
Lyceum mais j'ai un doute... Tous les textes de cette page sont
cités dans ma traduction.]
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