Un début étrange...
Quelquefois, le petit garçon qui m'appelle
père m'apporte une invitation de sa mère : «
Je serais si heureuse si vous me rendiez visite». Je réponds
invariablement par ces mots : « Chère madame, je
décline votre proposition.» Et, si David me demande
la raison de mon refus, je lui explique que je n'éprouve
aucun désir de rencontrer cette femme.
« Viens, cette fois, père, m'intime-t-il : c'est
son anniversaire, et elle a vingt-six ans ! » Elle doit
paraître très âgée aux yeux de David,
à tel point qu'il craint sûrement qu'elle ne puisse
guère durer davantage.
« Vingt-six ans, David ? » ai-je rétorqué.
« Dis-lui qu'elle fait plus ! »
Cette nuit, mon délicieux rêve est revenu. J'ai rêvé
que, moi aussi, j'avais vingt-six ans - ce qui était vrai
il y a bien longtemps. Et j'ai pris un train pour un lieu nommé
« Mon foyer », dont pourtant je ne sais rien lorsque
je suis éveillé. Quand je suis descendu à
la gare, un tendre amour perdu m'attendait et nous partîmes
ensemble. Elle me rencontra sans émotion violente et, moi
non plus, je ne semblais pas surpris de la trouver là ;
j'avais l'impression que nous étions mariés depuis
des années et séparés par une seule journée.
J'aime à penser que je lui ai donné une partie de
mes bagages à porter.
Si je racontais mon rêve à la mère de David
- à qui je n'ai au grand jamais adressé la parole
- elle pencherait sa tête et la relèverait bravement,
afin de me faire comprendre que je la rends très triste
mais également très fière. Puis, elle s'empresserait
de me prêter son ridicule petit mouchoir de poche. Et, alors,
aurais-je le cour de lui faire une révélation qui
l'alarmerait ? Car ce n'est pas le visage de la mère de
David que je vois dans mes rêves.
Avez-vous également connu ce destin, lecteur ? Être
persécuté par une jolie femme qui pensait, sans
l'ombre d'une raison, que vous vous complaisiez dans une inclinaison
désespérée pour elle ? Ainsi ai-je été
poursuivi par la sympathie mal venue d'un coeur sensible et vertueux,
celui de Mary A.
Quand nous passons dans la rue, la pauvre âme trompée
maîtrise son optimisme, comme s'il était honteux
de devancer, l'air heureux, celui qu'elle a estropié. Et,
en de tels instants, le froufroutement de sa robe murmure des
mots d'encouragement à mon intention et ses bras sont des
ailes aimables, qui regrettent que je ne sois pas, à l'instar
de David, un petit garçon. Je sens pareillement en elle
une effrayante exaltation, dont je suis inconscient au moment
où elle passe, mais qui me revient en écho sous
la forme d'une légère note de provocation.
Des yeux qui vous disent « Jamais ! », un nez qui
dit « Pourquoi pas ? » et une bouche qui dit «
Je préférerais que vous le fassiez. » : tel
est le portrait de Mary A. quand nous nous frôlons.
Un jour, elle a osé m'adresser la parole, afin de se vanter
auprès de David de m'avoir parlé. J'étais
dans les Jardins de Kensington et elle m'a demandé si je
voulais bien lui donner l'heure, de la manière dont les
enfants le demandent et l'oublient dès qu'ils retournent
auprès de leur nurse. Mais je m'étais même
préparé à ceci et, levant mon chapeau, je
lui désignai avec ma canne l'horloge au loin. Elle aurait
dû être bouleversée mais, comme je continuai
à marcher, l'oreille aux aguets, j'eus la désagréable
impression qu'elle riait.
Il
n'y a pas de seconde chance...
Mais, soyez-en assurés, Peter avait beau
prendre son temps pour revenir auprès de sa mère,
il en avait pourtant la ferme intention. La meilleure preuve de
ceci était sa prudence à l'égard des fées.
Elles étaient très anxieuses, car elles souhaitaient
qu'il restât dans les Jardins afin de leur jouer de la musique.
Elles essayaient donc de lui extorquer le souhait qui lui restait
en faisant ce genre de remarques : « Je souhaite que l'herbe
ne soit pas si mouillée. » Quelquefois, elles dansaient
à contretemps dans l'espoir qu'il s'écrierait :
« Je souhaite que vous dansiez en mesure. » Alors,
elles auraient pu lui dire qu'il venait d'énoncer son second
voeu. Mais il fit échouer leurs manoeuvres. Bien qu'à
plusieurs reprises il commençât par ces mots : «
Je souhaite que... », il s'arrêta toujours à
temps. Alors, finalement, il leur dit courageusement : «
Je souhaite maintenant revenir auprès de ma mère,
maintenant et pour toujours. » Elles durent lui chatouiller
les épaules et le laisser partir.
Il se précipita vers la fin car il avait rêvé
que sa mère pleurait. Il connaissait la cause de ses pleurs
et un câlin de son merveilleux Peter lui rendrait rapidement
le sourire. Oh, il était si sûr de lui ! Il était
si désireux de se nicher dans ses bras que, cette fois-ci,
il vola tout droit jusqu'à la fenêtre, qui était
toujours ouverte pour lui.
Mais la fenêtre était fermée et il y avait
des barreaux et, à travers eux, il vit sa mère qui
dormait paisiblement, les bras enlacés autour d'un autre
petit garçon.
Peter cria : « Mère ! Mère ! » Mais
elle ne l'entendit pas. En vain, il frappa avec ses petits bras
contre les barreaux en fer. Il dut retourner en pleurant aux Jardins
et il ne revit jamais plus son adorée. Quel glorieux enfant
avait-il eu l'intention d'être pour elle ! Ah, Peter, nous
qui avons commis de grandes erreurs, comme nous agirions différemment
si nous avions une seconde chance ! Mais Salomon avait raison
: il n'y a pas de seconde chance, pas de seconde chance pour la
plupart d'entre nous. Quand nous atteignons la fenêtre,
l'Heure de la Fermeture a sonné. Les barreaux en fer sont
mis pour la vie.
[Ce thème est en tous points celui de
Dear Brutus...]
Est-ce
aussi sûr... ou bien n'est-ce que l'ironie du sort ?
J’ai souvenir d’un moment dans l’existence
d’une douce dame, une de mes amies . Sa fille devait se
marier, quand soudainement, la veille de l’union, son amoureux
mourut. Il était alors pitoyable de contempler ce vieux
visage tremblant, qui essayait montrer la voie du courage au plus
jeune. Avec le temps, cependant, vint une autre jeunesse, aussi
vraie, oserais-je dire, que la première, mais pas aussi
bien connue de moi. Je haussai les épaules de manière
cynique, en voyant ma vieille amie, une fois de plus, jouer les
entremetteuses. Elle l’encouragea et le glorifia. Et, redevenue
jeune elle-même sous le coup de ce grand événement,
elle vêtit joyeusement sa pâle fille de sa robe de
mariée et, avec des sourires sur le visage, elle lança
du riz sur l’équipage qui s’en allait. Mais,
peu après qu’il fut parti, je tombai sur elle dans
sa chambre, et elle était à genoux, en larmes, devant
l’esprit de l’amoureux défunt. « Pardonnez-moi,
implorait-elle, car je suis vieille, et la vie est grise pour
les jeunes filles seules. » Elle demandait pardon pour avoir
menti à sa fille en prétendant que les femmes devaient
agir ainsi.
[Ici, Barrie reprend l'histoire réelle
de sa soeur, Margaret...] |