[Vous pouvez agrandir toutes les images de cette page
d'un simple "clic" ! J'ai le regret de devoir "marquer"
mes photos ; en effet, il m'est pénible de me faire piller
encore et encore...]
1. Édimbourg
J'ai choisi notre
majestueux hôtel et non un autre parce qu'il s'est
installé dans les anciens locaux du journal The Scotsman,
pour lequel Barrie écrivit, lorsqu'il était jeune.
Lorsque nous l'avons visitée, la ville
était éventrée ici et là par des
travaux.
Un tramway est en construction. C'est sutout
dommageable sur Princes Street. Mais ce qui m'a le plus choquée,
c'est la cohabitation désastreuse de la noble tradition
de monuments très anciens ou de maisons du passé,
glorieuses et fières, avec des constructions modernes
d'une laideur qui n'en est que plus frappante par contraste.
Et ceci est irrémédiable.
L'une des choses qui m'a le plus fait rêver... ce sont
les toits de la ville, que je n'ai cessé d'observer et
qui m'ont inspiré une histoire..
Mais ce qui emporte au-delà de tout mes sentiments ce
sont les pierres grises et les légendes qu'elles cachent
dans leurs craquelures.
Au restaurant de notre hôtel, j'ai rencontré
un Monsieur Holmes (!), qui a étudié pendant trois
ans la littérature anglaise et qui était, semble-t-il,
admiratif (pourquoi ?) de mon plaisir à lire Shakespeare
et Chaucer - celui-ci avec difficultés mais passion -
dans le texte. Espiègle, il me raconta une histoire à
laquelle je ne crus pas d'abord, mais qui s'avéra véridique
:
chaque jour, à une heure de l'après-midi, quelque
chose se produit dans la ville. Je l'ignorais, ce qui prouvera
combien je peux être aveugle (sourde, en l'occurrence)
à tout ce qui ne relève pas de ma passion directe
pour J. M. Barrie et combien le monde comporte de secrets pour
moi.
Le premier jour, nous avons fait approximativement,
Edinburgh Castle compris, une vingtaine de kilomètres
(à pied - sigh !) d'après M. Golightly, et je
ne m'en suis jamais remise, car je suis d'une faible constitution
physique, comme la suite vous l'apprendra. Nos pas nous ont
conduits à divers endroits de la ville que j'avais épinglés
sur ma cartes des semaines auparavant, comme autant de bonheurs
anticipés.
Un tropisme nous conduisit ici et là, dans une flânerie
qui comportait peu d'improvisation, celle-ci viendrait plus
tard. Du côté de chez Stevenson...
8 Howard Place.
Son lieu de naissance, autrefois musée, aujourd'hui habitat
privé. J'aime penser l'enfance des grands écrivains.
Et l'enfance de Stevenson me fascine (souvenez-vous de son Baby
Book). Je pourrais, une autre fois, muni de ce livre trouvé
au Writers'
Museum,
Nous rendîmes aussi un irrévérencieux
hommage à Doyle, que j'évoque souvent ici sur
le ton de la camaraderie, alors qu'il faudrait en parler plus
sérieusement...
Nous fîmes également halte
à Castle Street, au 10 (désormais une banque)
et au 32,
où vécurent respectivement les Shelley (Harriet
et non Mary) et Kenneth
Grahame, pour finir par traquer l'ombre de l'inspecteur
Rebus à l'Oxford Bar.
L'Écosse n'est pas déjà
un souvenir pour moi, puisque j'y retournerai dès que
possible. Et pas seulement en songes...
Édimbourg, une ville qui a des teintes d'automne même
au printemps ou en été,
[Princes Street.]
peut-être à cause de la couleur
de ses pierres grises, si caractéristiques de l'Écosse
que je connais, qui donnent une ombre à chaque luminosité,
peut-être à cause du soleil voilé qui poudre
de mordoré chaque fragment de la ville.
Lorsque j'ai vu les pointes de ces grilles j'ai évidemment
pensé à la triste fin du héros de Barrie,
Tommy, qui meurt
empalé sur l'une d'entre elles...
Toujours scintille dans la ville quelque chose d'inattendu,
toujours craquelle la surprise sous le vernis
du prévisible. Comme ces closes (passages) si pittoresques
qui me rappellent certaines traverses de Venise.
C'est par l'un de ces closes que l'on trouve
le fameux Musée des écrivains, (The Writers' Museum)
tout à la gloire de Burns, Scott et Stevenson. Un endroit
charmant, où l'on peut admirer, entre autres, les bottes
que portait Stevenson à Samoa ! Il y a des dizaines et
des dizaines d'effets personnels des gloires littéraires
susnommées.
J'ai aimé Édimbourg. Beaucoup.
Pourtant, c'est une ville que l'on aime par degrés, me
semble-t-il, et je suis un être de l'instantané,
de l'immédiat, vorace de l'instant, impatiente, brutale
même. Une émotion à rebours. Est-ce simplement
subjectif ? En tout cas, ce fut ce que je ressentis et je crois
être très sensible aux lieux, aux bruits, aux couleurs,
aux odeurs. L'intellect vient toujours en second chez moi, à
la traîne des sens et de l'imagination. Aucune fulgurance
physique lorsque je me retrouvai face à la ville souveraine,
comme lorsque le voyageur rencontre pour la première
fois Venise ou New York, par exemple, mais plutôt l'acceptation
muette d'une certaine rigueur ou sévérité
dans la mise qui m'imposa un retrait contemplatif. L'amour vint
ensuite, par insinuations progressives, comme une marée
qui inlassablement vient vous lécher, vous frotter, vous
éroder et détacher de vous, parcelle par parcelle,
votre réserve, pour mettre à nu la sensibilité
dépouillée de tous ses travestissements. Aucune
forfanterie ne pare Édimbourg, mais avec quelle fierté
elle vous regarde ! Vous baissez alors le regard sur ses pavés.
Puis, vous relevez timidement la tête pour être
égayé soudain par quelque détail moderne
ou passé.
La porte d'entrée de mon voyage fut
peut-être, comme me l'a fait remarquer mon Amie Fauna,
le Monument Scott, et pas seulement parce que j'admire grandement
cet auteur - il me reste beaucoup à lire de lui en anglais.
Ma première visite à Édimbourg, ou mon
premier souci, me conduisit naturellement à l'endroit
où vécut J. M. Barrie de 19 à 22 ans
: 3 Great King Street.
James vécut ici, il y a bien longtemps...
Une plaque commérative est apposé sur la façade
de cette maison, où il loua une chambre, dans sa jeunesse.
Un peu de repos s'imposait après une
visite si émouvante et nos pas nous conduisirent vers
un adorable musée, posé comme par enchantement
sur High Street,
non loin d'une étonnante boutique,
The
Nutcraker Christmas Shop. Une visite clin d'oeil qui,
je le souhaite, vous donnera envie de vous rendre sur place
le découvrir. Imaginez un endroit dévolu entièrement
à l'enfance victorienne et édouardienne, mais
aussi plus récente. Un délice pour l'imagination
et le regard...
J'ai pu admirer une robe de baptême qui ressemble exactement
à celle dont la mère-personnage de J. M. Barrie
ne cesse de faire l'éloge dans Margaret Ogilvy
:
"Dès lors, sa santé
fut délicate et, pendant des mois, elle fut très
malade. Sa première demande fut qu’on lui montrât
la robe de baptême, m’a-t-on raconté, et
elle la regarda longtemps, puis tourna son visage vers le
mur. Pendant mon enfance, c’est ce qui me fit croire
que c’était la robe dans laquelle il avait été
baptisé. Plus tard, j’appris que nous avions
tous été baptisés dans ce vêtement,
de l’aîné au benjamin, que vingt ans séparaient.
Des centaines d’autres enfants furent baptisés
dedans ; de telles robes étaient alors une possession
rare et le prêt de la nôtre était l’une
des gloires de notre mère. On la transportait soigneusement
d’une maison à l’autre, comme s’il
se fût agi d’un enfant ! Ma mère faisait
grand cas de ce vêtement, le défroissait, lui
souriait, avant de le mettre dans les bras de ceux à
qui il était prêté. Elle siégeait
sur notre banc à l’église pour le voir
porté avec magnificence (avec quelque chose à
l’intérieur !) le long de l’allée
en direction de la chaire, quand un frisson d’agitation
et d’impatience parcourait l’intérieur
de l’église ; nous nous donnions des coups de
pied sous le pupitre mais notre visage ne cessait dans le
même temps d’exprimer notre piété.
Dans l’intervalle, quel que fût le comportement
de l’enfant – il pouvait rire sans pudeur ou hurler
à la grande honte de sa mère – et quoi
que fît le père, tandis qu’il l’élevait,
l’air idiot probablement, et s’inclinant au mauvais
moment, la robe de baptême les faisait bénéficier
de sa longue expérience et les aidait à se tirer
de ce mauvais pas. Quand la robe lui était rendue,
elle la prenait dans ses bras, aussi délicatement que
possible, comme si elle s’était endormie, puis
elle la pressait, sans s’en rendre compte, contre sa
poitrine. Il n’y avait rien dans la maison qui lui parlait
avec autant d’éloquence que la petite robe. C’était
le seul de ses enfants qui demeurait un bébé.
Et elle ne l’avait pas cousue elle-même, ce qui
à mes yeux était une chose bien merveilleuse,
car elle semblait avoir confectionné elle-même
tout ce que nous portions. Tous les vêtements dans la
maison étaient nés de ses mains et c'est se
méprendre sur elle que d'imaginer qu’ils étaient
démodés. Elle les transformait et leur donnait
une allure nouvelle. Elle les reprisait et leur offrait une
autre vie. Puis, elle les persuadait par la ruse de se métamorphoser
en autre chose pour la dernière fois. Ensuite, elle
les élargissait et les reprenait de nouveau, en posant
un nouveau galon, après quoi elle ajoutait un morceau
de tissu dans le dos, et ainsi le vêtement passait d’un
membre de la famille à l’autre, jusqu’au
plus jeune. Et, alors même que nous en avions fini avec
eux, ils réapparaissaient sous une autre forme. À
la mode ! Je dois revenir sur ce sujet. Aucune femme n’avait
un œil pareil : elle ne possédait aucune gravure
de mode ; elle n’en avait nul besoin. La femme du pasteur
(une cape), les filles du banquier (la nouvelle manche) :
elles n’avaient qu’à passer une seule fois
devant notre fenêtre, et le scalp, si je puis m’exprimer
ainsi, était entre les mains de ma mère. Regardez-la
se précipiter, les ciseaux en main, un fil dans la
bouche, en direction des tiroirs où les vêtements
du dimanche de ses filles sont rangés ! Ou bien allez
à l’église dimanche prochain et regardez
certaine famille qui y pénètre en file indienne
: le garçon lève ses jambes assez haut pour
faire le fier et montrer ses nouvelles bottines, mais tous
les autres demeurent discrets, spécialement la timide
petite femme à l’air si peu perspicace qui se
tient en arrière. Si vous étiez à la
place de la femme du pasteur ce jour-là ou à
celle des filles du banquier, vous auriez un choc ! Mais elle
avait acheté la robe de baptême et, quand j’avais
coutume de lui en demander la raison, elle rayonnait et paraissait
réfléchir, puis répondait qu’elle
voulait être une fois dans sa vie dispendieuse ! Et
elle me dit, sans cesser de sourire, que plus une femme avait
tendance à coudre et à fabriquer les choses
elle-même plus grand et ardent était son désir
ensuite de se précipiter dans un magasin et «
de faire des folies ». La robe de baptême, avec
ses tuyautés pathétiques, a plus d’un
demi-siècle maintenant et elle commence à se
faner un peu, à la manière d’une pâquerette
dont le temps est passé, mais elle est conservée
avec autant d’affection qu’autrefois. Je l’ai
vue en exercice, à nouveau, l’autre jour."
(notre traduction)
héros célèbres, dont
le même J. M. Barrie réinvente, si l'on peut
dire, les aventures dans Le
petit oiseau blanc. Une notice nous informe que,
de nos jours, ces personnages n'ont plus de succès
auprès des enfants car ils sont trop... violents !
Incroyable lorsque l'on songe à toute la violence,
non cathartique, bel et bien gratuite, qui abreuve dès
le biberon les enfants de notre siècle.
Edinburgh
Castle
Bonnie Prince Charlie échoua, comme
chacun sait, et le siège jacobite de 1745 fut le dernier
de son histoire...
Depuis longtemps, le château d'Édimbourg, construit
sur un roc volcanique, qui surplombe la ville, est une icône
de l'Écosse à de nombreux titres... Mon intérêt
s'y est déporté tout naturellement puisque je
m'intéresse à l'histoire de l'Écosse,
dont la connaissance est fondamentale pour comprendre la littérature
issue de ce pays et également, mais dans une moindre
mesure, l'oeuvre de J. M. Barrie.
Je partage avec ce peuple l'amour des animaux et des chiens
en particulier, c'est ainsi que je fus très émue
par un petit cimetière pour chiens que l'on peut apercevoir
en ce lieu.
Les cimetières d'animaux provoquent en moi un élan
que j'ai déjà indiqué ici, en plusieurs
occasions, notamment celle qui me conduisit à relater
ma visite au Glamis Castle.
L'un des attraits majeurs de ce château pour les visiteurs
est, bien entendu, l'exposition des "Honours
of Scotland", qui furent retrouvés par Sir
Walter Scott, et la Stone
of Destiny. Cf.
cette page.
J'espère avoir un peu de temps pour parler comme il
se doit de ce château, un peu plus tard...
Nous l'avons visité un jour de grand vent ; la pneumonie
est l'un des dangers immédiats encourus lors d'une
telle visite...
The
old College
J.M. Barrie fut étudiant à l'université
d'Édimbourg. Ce ne fut pas une période particulièrement
heureuse de son existence. Il se nourrissait presque exclusivement
de pommes de terre qu'il conservait dans un sac, dans sa chambre
(au 3 Great King Street, comme nous le mentionnions plus haut)...
(Cf. la description de Cynthia Asquith dans son Portrait
of Barrie.)
Il n'alla à l'université que pour satisfaire
les ambitions de sa mère, alors qu'il savait que son
seul et unique désir était de devenir écrivain
(bien qu'à mon sens l'un ne soit pas incompatible avec
l'autre, à son époque en tout cas, car aujourd'hui
l'université est souvent une indigne Alma Mater, tant
du côté de ses maîtres que de ses élèves...
Qui enseigne encore pour exalter chez les jeunes gens autant
la vertu et l'audace d'être soi-même que l'émulation
et le savoir ? Qui étudie afin de tirer de soi le meilleur
et non pas dans l'idée de se faire une misérable
place à la table du banquet des lâches orgueilleux
? Il en reste trop peu de ces gens-là qui n'ont que
le désir de la connaissance et la féroce joie
de la transmission...). Il souffrit donc de la faim à
Édimbourg et de solitude, car les autres semblaient
étonnés en présence de ce jeune homme
de la taille d'un enfant. Ou peut-être était-ce
déjà son regard qui les inquiétait...
Plus tard, par l'ironie des choses, par une justice qu'il
me plaît de croire liée à son destin de
génie littéraire - destin fabriqué et
non subi -, il devient "Chancellor" de cette université.
À l'occasion de cette cérémonie, il délivra
un vibrant discours, The Entrancing Life [que l'on
peut traduire par "La vie enchanteresse" - mais
une vie que l'on enchante soi-même, une vie qui a un
charme au sens magique presque...], en 1930.
J.M. Barrie avait un talent inouï pour
les discours, distillant autant l'humour un peu cruel qu'un
sens profondément humain de l'essentiel dans l'existence
de tout homme. Tout le monde connaît d'instinct cet
essentiel, même les moins intelligents d'entre nous,
mais cette vérité semble tellement simple que
nous l'abandonnons souvent pour des idées que nous
croyons plus promptes à nous mettre en valeur et en
position de force face aux autres. Une erreur, bien entendu.
Je vous traduis, trop rapidement hélas, un petit extrait
significatif, je le crois, de l'état d'âme de
J.M. Barrie. Ne croyez pas, et il le dit lui-même à
la fin du discours qu'il s'agisse d'une "prêche".
"Ce que vous avez appris
vous a-t-il enseigné que la Jalousie est l'un des vices
qui consume et détruit le plus, mais est également
le plus grand pouvoir en n'importe quel endroit du monde ?
Êtes-vous un peu plus modéré dans vos
idées ? Possédez-vous davantage de charité
? Suivez-vous un peu mieux - et ceci vaut autant pour le reste
d'entre nous que pour vous - les préceptes de la gentillesse
et de la vérité ? Il se peut que vous soyez
très intelligents, destinés à recevoir
les lauriers, et il est possible que vous ayez ri des malchanceux
qui se battirent pour une bourse d'étude ou pour réussir,
puis qui échouèrent et durent abandonner là
les ambitions qui leur étaient chères. Mais
si cet échec leur a appris ces leçons-là,
il se peut bien qu'ils aient reçu un meilleur enseignement
que le vôtre.
Il est possible que vous découvriez,
à la fin, que votre vie ressemble à une pièce
en trois actes dont le deuxième serait omis. Dans l'agencement
soigneux de la pièce, sur scène, chaque acte
conduit doucement au suivant ; ils s'expliquent l'un l'autre
; mais il se peut que cela ne soit pas le cas dans votre pièce,
et c'est ce qui advient pour beaucoup d'entre nous. En moins
de temps qu'il ne m'en faut pour l'espérer - car je
souhaite que vous soyez joyeux, en ce matin qui est celui
de la remise de vos diplômes -, il vous semble possible, dans l'acte final, d'être loin devant. Il y a eu
un deuxième acte, le plus long de vos actes, mais vous
avez probablement gardé peu de souvenir de celui-ci.
Vous savez simplement que cet homme
ou cette femme que vous êtes devenu n'est pas celui
ou celle que vous aviez pour but de devenir en ces jours passés
sur les rivages du Firth of Forth. Il est même possible
que cela n'ait pas calmé vos ambitions, si la prospérité
vous a permis de satisfaire de vieilles aspirations. Il est possible que vous ne soyez conscient de l'heure ni de la façon
dont le voleur s'est introduit, une nuit, ni que vous sachiez que c'est vous qui lui avez ouvert la porte. Mais quelque
chose de mauvais vous a pénétré pendant
le deuxième acte et cette chose est demeurée
calme en vous jusqu'à ce qu'elle soit devenue votre
démon intime. Lentement, furtivement, elle vous a poussé
; elle n'a jamais cessé de vous pousser doucement,
car elle ne se fatigue jamais, jusqu'à ce qu'elle vous
ait fait sortir de vous-même et ait pris votre place.
Vous pouvez quelquefois faire le tour du logement terrestre
qui, jadis, vous contenait, essayant de le regagner. Peut-être
y parviendrez-vous. Cela arrive parfois. Cependant, nous pouvons
espérer que, par la grâce de Dieu, ce qui vous
a pénétré était bon. Tout ce que
je peux vous assurer c'est que, pendant ce deuxième
acte sur le point de débuter, quelque chose pénétrera
en vous : cette chose vous fera ou vous détruira. (...)
Tenez-vous à savoir ce que je crois être une
vie enchanteresse ? Cette conjecture résume tout ce
que j'ai essayé de vous dire aujourd'hui. Carlyle tenait
le génie pour un don infini à se donner du mal.
Je ne sais rien du génie, mais la vie enchanteresse,
je le pense, doit être l'amour infini que l'on éprouve
à se donner du mal. Faites-en l'expérience.
"
Le fantôme de la Grande Guerre hante ce discours ;
l'ombre de la suivante le traverse.
Barrie prononça ces mots sept ans avant sa mort devant
des étudiants et des professeurs.
[Image offerte par Andrew Birkin]
C'est à ce discours auquel j'ai songé
en pénétrant dans la cour de cette université.
Il le prononça le 25 octobre 1930.
***
Who could ever hope to tell all its story, or the story of
a single wynd in it?
J.M. Barrie
Holyrood
Je vais terminer ce récit un tantinet
décousu, du moins provisoirement, par une petite visite
au château de Holyrood. Je ne serais peut-être
pas allée à Holyrood si je n'avais pas su la
dévotion que le personnage de Mary Stuart, Mary Queen
of Scots,
une biographie possible du personnage)
inspira à Barrie. Dans Margaret Ogilvy, par exemple,
il écrit ceci :
"Dans un vieux livre, je trouve des colonnes
de notes au sujet de travaux projetés à cette
époque, qui consistent presque tous en des essais sur
des sujets dépourvus d’intérêt.
Le plus frivole devait être un volume sur les anciens
satiristes, commençant avec Skelton et Tom Nash . La
moitié de ce manuscrit repose encore dans un coffre
poussiéreux. La seule histoire était au sujet
de Mary, Reine d’Écosse , qui était aussi
le sujet de nombreux articles non écrits. Il semble
que la Reine Mary m’ait amené à ma perte
depuis ma découverte d’Holyrood . Que je puisse
me lancer dans ce roman me fait terriblement peur encore aujourd’hui."
(notre traduction)
Dans la plupart de ses histoires, il n'est pas rare qu'une
allusion à Mary traverse le récit. Mary
Stuart, Bonnie Prince Charlie et Flora MacDonald
sont des personnages héroïques aux yeux de Barrie.
Comment ne le seraient-ils pas aux miens ?
À l'intérieur de ce château, la visite
est somptueuse, et je suis heureuse d'avoir pris sur mes dernières
forces pour m'y rendre. On peut traverser et se recueillir
dans les appartements de Mary Queen of Scots
[Gravure extrait de ce
livre-ci, absolument fabuleux.]
et frémir à l'endroit où fut tué,
sous ses yeux, son secrétaire, David Rizzio, par son
mari jaloux, Darnley - qui sera lui aussi assassiné
avec la complicité de Mary par son futur et troisième
mari, le comte de Bothwell. La figure de Mary est difficile
à percevoir nettement. Il y a tant d'ombres dans son
histoire et cette femme est à la fois victime et tout
autant coupable.
2. Les Hébrides extérieures : l'île de
Lewis / Harris
Je n'oublierai jamais notre séjour
sur l'île de Lewis / Harris.
Voici, pour commencer, les vidéos les moins
impressionnantes de Lewis - quoique le ciel à la Friedrich
donne ici parfois un aperçu de son velouté violent mais il
est encore plus inquiétant lorsque l'on se trouve sur place...
Une puissance dionysiaque ! Tous les éléments combattent en
ce point du globe. Cette vidéo réalisée lors de notre arrivée,
près de notre merveilleuse
Guest House,
située dans le village nommé Back, donne
le visage le plus paisible de l'île. J'ai projeté un prénom
dans le vent, celui d'une personne remarquablement douée et
vivante, que j'aime profondément, l'Amie. J'espère que l'écho
le lui a rendu. Je crois que oui...
Le lendemain de notre arrivée, nous
partîmes en direction de l'île de Harris, qui est la
partie la plus lunaire de cette géographie sauvage.
Lewis et Harris - l'île que l'on sépare
en deux parce qu'elle fait coexister en son sein deux univers
différents et deux reliefs contrastés, mais
qui n'est qu'une géographiquement - composent un paysage
vraiment étrange et vous incitent à un curieux
voyage dans vos pensées si vous prenez le risque d'approcher.
Un mystère inquiétant vous enroule dans d'indescriptibles
tourments dès que vous y posez la pointe du pied. Je
n'ai pas encore trouvé de mots pour l'exprimer, mais
j'ai eu certaine prescience... Très rapidement, j'ai
eu le sentiment qu'il était temps pour moi de partir
- mais je reviendrai, car ma mission n'est pas tout à
fait achevée. Si j'étais demeurée quelques
jours de plus, je pense que ma complexion n'y aurait pas résisté.
Ne vous méprenez pas : j'aime à la folie cette
double île, mais elle comporte certains dangers que
j'ai immédiatement identifiés. Elle est propice
au Weltschmerz, à la mélancolie
langoureuse et amoureuse d'elle-même, à l'engourdissement
des sens et de l'esprit (vous êtes anesthésiés
pendant que la maladie - un romantisme noir - s'empare de
vous) et, pour finir, je pense, à un désespoir
absolu, inconscient de lui-même, qui peut conduire à
la mort celui qui l'abrite.
Je suppose que la fascination qu'elle exerce sur des âmes
trop sensibles peut aller jusqu'à la perte de soi.
Pour vivre ici, il faut un tempérament d'insulaire,
une prédisposition, un instinct que ne confèrent
pas seulement la naissance ou le choix tardif de cette île,
car c'est l'île qui décide de vous prendre ou
de vous rejeter et ce n'est jamais vous qui avez cette liberté.
Si vous le croyez, vous êtes à jamais perdu à
vous-même. C'est parce que j'ai eu conscience de ceci
qu'il fut rapidement temps que je parte, même s'il était
également trop tard... L'île est délétère
pour moi, car elle flatte mes penchants mélancoliques
et parce que je sens qu'elle puise en moi des forces vitales
et qu'elle s'abreuve à mon âme.
Je crois avoir compris pourquoi Barrie aimait ces Hébrides-là
: l'ambiguïté, la cruauté et le sublime
des lieux.
Quand le paysage se déroule devant vous, vous comprenez
que vous êtes ailleurs. Vous suffoquez. Vous êtes
pris. Aucun retour en arrière n'est possible et, pourtant,
vissé au coeur, vous n'avez plus que ce désir
désormais impossible à satisfaire aussitôt
qu'il se transmet à vous.
Paysage lunaire, sentiment d'être du bout du monde ou
d'être le témoin d'une fin de l'univers sont
quelques-uns des sentiments qui m'ont prise à la gorge.
J'espère que nos vidéos restitueront ce climat.
Mais il faut le vivre, je crois, pour le comprendre véritablement.
C'est une expérience que l'on ne peut ni partager ni
transmettre, en aucune manière.
Nous sommes allés nous recueillir avec le passé
et les légendes à Callanish.
Callanish - ou Callernish ou encore Callainn en gaélique
semble étymologiquement, d'après mon petit dictionnaire
- désigner l'ancienne nouvelle année (le 13
janvier actuel) ou le 31 décembre.
Le site est intéressant car c'est le seul site de ce
type à Lewis où les pierres sont disposées
en forme de croix chrétienne.
Des légendes nombreuses se rattachent à ce lieu
très spécial. Je vous les raconterai peut-être
un jour...
Ce lieu est très impressionnant, l'envoûtement
qu'il provoque est puissant, à l'image du reste de
l'Île.
À lire :
Les îles m'ont toujours fait rêver.
Et je crois que ce fut d'abord la faute d'Enid
Blyton (qui fut longtemps un homme dans mon esprit). Je
me rêvais pendant des années membre des Famous
Five. Stevenson et Ballantyne vinrent après attiser
cette passion. Puis, je découvris, sans jamais cependant
l'accepter, que j'étais une personne très ordinaire
qui ne vivrait jamais de telles aventures, mais qui pouvait
en inventer, ce qui était presque aussi bien et peut-être
même mieux. Ainsi, je ne fus jamais désespérée
par ce rêve, tant que j'avais près de moi un
papier et un crayon et deux paupières à fermer
solidement pour mieux rêver dessous.
Jadis, il y eut l'explorateur Scott, le
Capitaine Robert Falcon Scott, mort tragiquement (la lettre
d'adieu écrite à Barrie, alors qu'il savait
qu'il allait mourir, est déchirante ; elle est présente
dans le livre ci-dessous), dont le fils était le filleul
de J. M. Barrie.
En ce mois d'avril de l'année 2009, nous assistâmes
donc à la naissance d'un autre type d'aventurier, d'une
exploratrice (très peu) douée, dont la carrière
s'acheva en une journée – ce qui est, en soi,
un record, il convient de le souligner.
Le but de la mission était pourtant aisé :
atteindre
l'île de Mary Rose, en suivant les indices laissés
par Andrew Birkinsur son
magnifique site, dont le travail est un modèle
pour moi et à qui je dois beaucoup. J'aime et admire
Andrew, qui est un gardien sincère, généreux
et courageux de la mémoire de Barrie. Jamais je n'oublierai
le jour où le facteur m'apporta un colis enveloppé
de papier brun. A l'intérieur, une édition originale
du Little White Bird signée de la main de
son auteur sur une page, une dédicace d'Andrew sur
l'autre. Je veux être brûlée avec ce livre
lorsque je mourrai. Je rappelle également qu'il m'avait
offert sur DVD le contenu de sa base de données et
que je n'ai pas encore fini de l'explorer - mais je suis plus
douée, heureusement, pour ce genre d'explorations intellectuelles
et imaginaires. Les images ci-dessous sont donc celles d'Andrew
lorsqu'il se rendit là-bas, plus de 30 ans avant moi.
A une différence près : Andrew avait un canot
pour s'y rendre et pas moi! Ce qui prouve le bon sens de cet
homme.
Je rêvais de cueillir la même bruyère
qu'Andrew. Mais il y a loin de la main à l'île
et à la bruyère qui pousse entre ses crocs en
roc...
L'île de Mary Rose, grosse comme une main d'enfant,
est bien plus petite que celle que Barrie décrivit
dans sa pièce. Même si nous avions atteint le
loch, nous n'aurions pu, sans canot, y poser le pied. Dois-je
préciser que je ne sais pas non plus nager ?
Sur la route, nous vîmes un loch avec une île
posée qui est, pour moi, comme une soeur de celle qui
me restera interdite.
L'île
dont s'inspire Brigadoon est située sur l'île
de Harris (une île dans une île, à l'infini...
mon phantasme...), posée sur un loch, le loch Voshimid
- ou Boishimid en gaélique. Grâce à Robert,
qui m'avait indiqué quelles étaient les cartes
que nous devions acheter afin de trouver
ce lieu magique, nous fûmes en mesure d'emprunter la
route idoine en voiture et d'atteindre un sentier pédestre
qui devait nous conduire au but, le sentier au bout duquel
le loch apparaît. En tout cas, c'est indiqué
sur la carte :
Le seul problème était que
ce sentier était long d'environ 10 kilomètres.
Soit 20 kilomètres à faire à pied, non
équipés, sur un chemin caillouteux, boueux,
difficile à pratiquer en chaussures vernies (les miennes),
et sans moyen d'utiliser nos téléphones en cas
de pépin (j'avoue ne pas y avoir pensé dans
le feu de l'action). De notre Guest House à cette portion
de l'île de Harris, il avait déjà fallu
affronter 1h40 de route. Une route à laquelle mon estomac
ne résista pas, car je suis malade en voiture comme
un chien. Pour M. Golightly, ce fut une partie de plaisir.
Comme tous les garçons, il adore les voitures et se
rêve pilote de rallye. Il a la conduite nerveuse qui
va avec ce rêve...
M. Golightly, d'ordinaire si posé, au flegme
britannique affirmé dans les plus dramatiques circonstances,
aussi imperturbable qu'un horse guard à Buckingham Palace,
m'a soudain regardée dans les yeux, haussant à peine un
sourcil moqueur, et a dit ces simples mots : "C'est dément
!" Le rire était proche et il voulait le conserver par-devers
lui, par égard pour la personne si fière et si prompte au
péril le plus grotesque qu'il avait en face de lui, mais
il n'a pu le retenir indéfiniment, tant la situation devenait...
folle. Mais il s'est ressaisi bien vite : "C'est dément.
Mais je suis prêt à le faire... si tel est ton désir." Pourquoi
a-t-il dit cela et pourquoi mon coeur s'est-il gonflé à
cet instant de fierté pour mon héros ? Sachez simplement
que nous avons vraiment vécu l'aventure et que, même si
ce fut un demi-succès ou un demi-échec, j'ai vécu intensément
cette quête... Celle d'une île grosse comme la main d'une
enfant que je n'ai pas atteinte.
Dès le départ, M. Golightly
était dubitatif, mesurant les difficultés
en homme pragmatique et les moyens pour les contourner,
mais enthousiaste. Délesté de son fardeau
(moi), il aurait atteint le loch, je le sais. Mais je ne
voulais pas qu'il fît le chemin seul.
D'où le "c'est dément
!" de M. Golightly, lorsque nous empruntâmes
le sentier pédestre et lorsqu'il comprit, après
un ou deux kilomètres, qu'il devrait... me porter
jusqu'au loch à l'aller et au retour. Or, je pèse
plus lourd que M. Golightly... C'est ainsi que je renonçai
sur le chemin. Mais M. Golightly me promit un retour sur
le lieu, un jour, et il tient toujours ses promesses. Or,
je ne suis plus sûre de vouloir connaître cette
île. Son idée m'est davantage nécessaire
que sa présence effective.
En images et en vidéos notre parcours d'aventurier,
ci-dessous.
Le vent, si violent, couvre complètement
mes paroles et j'ai le visage tellement gelé que
je ne parviens pas à parle comme il faut...
Sur le chemin - presque deux heures de route de l'île de
Lewis où nous résidons jusqu'à l'île de Harris (capitale
du tweed)
-, à 30 kilomètresà l'heure sur des routes à double
sens (de la largeur d'une seule voiture), où il est donc
souvent impossible de croiser une autre voiture (passing
places), où moutons et vaches font la sieste en pleine voie,
où pendant des kilomètres vous ne voyez pas âme qui vive,
nous avons de manière improbable aperçu ceci, surgi de je
ne sais où :
(une voiture ancienne, qui n'avait même pas de clignotants
!) M. Golightly a dit la seule chose sensée en ces circonstances
: "Monsieur Barrie, dans les années 20, a pu emprunter la
route dans une telle voiture... En fait, c'est lui..." Et
il a dit cela au moment où j'avais perdu la foi. Voilà
pourquoi je l'aime.
Et la journée s'est terminée ainsi, par la découverte d'un
endroit où Barrie grava ses initiales sur une vitre... (Andrew
Birkin fit cette découverte bien avant même,
lorsque la fenêtre était encore "en service"...)